Tenter de neutraliser la parole féministe en la ramenant à une histoire d’insatisfaction personnelle, c’est encore ce que font beaucoup de médias, en 2025. Notamment dans les critiques de « La chair est triste hélas ».
Sur France Inter, dimanche 12 octobre, la première critique de l’émission Le masque et la plume portait sur La chair est triste, hélas, d’Ovidie magistralement interprétée par Anna Mouglalis. L’autrice explique pourquoi elle s’est mise en grève du sexe avec les hommes et démonte le patriarcat. Un texte politique haut et clair.
Première à s’exprimer, Fabienne Pascaud, de Télérama, commence avec des critiques positives sur la forme : « drôle, piquant, bien écrit, bien rythmé.» Puis vient le « Mais ». Mais elle trouve ça « caricatural », « binaire ». Et se lance dans une critique, elle-même caricaturale, dépolitisée et très personnelle : « dire que toutes les femmes, à cause de ces méchants hommes plein de pouvoir sont des mal-baisées soumises, non. Non madame Ovidie il y a des hommes qui font très bien l’amour et qui nous donnent beaucoup de plaisir, je peux en témoigner »… Rire sur le plateau.
Nous y voilà ! Un peu comme pour se défendre d’être raciste, certains disent « je ne suis pas raciste j’ai un ami noir », ici c’est un peu « je ne suis pas féministe j’ai eu un bon amant ». Sauf que, être « raciste » est honteux… « Féministe » ne devrait pas l’être. Mais, dans notre inconscient collectif, ce qualificatif est associé à beaucoup d’autres comme « mal-baisée », supposé couvrir de honte celle qui est ainsi qualifiée.
Retournement du stigmate
Pourtant « La chair est triste hélas » retourne le stigmate en posant cette question : « mal-baisée, la faute à qui ? » Et la pièce dénonce clairement le système patriarcal et les manipulations qui aboutissent à la soumission volontaire des femmes. Ces femmes qui se font souffrir en marchant sur de hauts talons, en s’épilant ou en s’affamant. La pièce ne dit pas que le désir féminin est éteint, elle dit qu’il ne veut plus être prisonnier d’un imaginaire façonné par la domination masculine.
Les médias désamorcent le propos féministe en le ramenant à une affaire d’insatisfaction sexuelle, de confession intime, une plainte personnelle qui s’exprimerait par une violente charge contre « les hommes », en général. Cette rhétorique permet de maintenir le statu quo : s’il est question de frustrations individuelles, pas besoin de remettre en cause le patriarcat.
Quelques minutes après Fabienne Pascaud, sa consœur, Sandrine Blanchard verra une opposition : « les femmes soumises, les hommes dominants », « j’ai envie de dire Ovidie est-ce que tu as déjà été amoureuse ? ». Et rajoute « on ne devrait plus en être là ». Et elle ne dit manifestement pas cette dernière phrase à propos de la domination masculine mais à propos de la réaction féministe. Sur le plateau, ce sont des femmes qui neutralisent la parole féministe. Les hommes semblent trouver le spectacle divertissant voire instructif.
Psychologiser pour désamorcer la critique du patriarcat
La rhétorique de la guerre des sexes déclenchée par des féministes frustrées n’est jamais très loin dans beaucoup de critiques. Dans Le Monde par exemple, le texte d’Ovidie est vu comme un « manifeste féministe radical et sans concession » et assène que le récit d’Ovidie « stérilise pourtant tout débat constructif, en acculant le public à une guerre de tranchées »…
Heureusement, quelques journaux ont fait un pas en avant dans la considération politique du féminisme et prennent de la hauteur. Télérama justement se réjouit de voir Anna Mouglalis, sur scène « exploser pas à pas le patriarcat » Libération rend hommage au théâtre féministe où « le patriarcat est taillé en pièces ».
Mais le bruit médiatique qui domine vient de ceux qui « psychologisent » le combat féministe. Ils le réduisent à des expériences personnelles de certaines femmes qui voudraient prendre une revanche ou mener une guerre des sexes.
Le patriarcat n’est pas seulement ce que la pièce d’Ovidie dénonce, ce sont aussi les médias qui empêchent qu’on le comprenne. Mise en abîme de l’invisibilisation des combats féministes.
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3 commentaires
Bravo !
Plusieurs fois que vous encensez une personne pro-système prostitutionnel-pornographique copine du lobby proxénète du strass c’est irresponsable de votre part : des femmes sont menacées et agressées pour être abolitionnistes vous le savez et cette Ovidie en est responsable. Ce n’est pas parce que MarineLePen ou des ennemies du féminisme vont dire un jour une chose qui vous plait que vous allez la mettre en avant dans des articles ! Je suis très déçue et je ne suivrai plus votre site que j’appréciais. Pas un centime d’euro pour les alliées du patriarcat proxénète prostitueur !
Une fois de plus, on tente d’opposer des hommes dominateurs et des femmes soumises (ou à nier toute domination, selon les points de vue). C’est oublier que l’on vit dans un système de domination qui s’exerce à l’encontre des femmes, certes, mais aussi des hommes – et dont le fameux « patriarcat » est surtout un symptôme.
Ce que Virginie Despentes explicite fort bien dans King Kong Théorie, notamment : l’intérêt des oppresseurs – les vrais – étant que les opprimés se battent entre eux au lieu de lutter contre un système global qui les opprime. Que les femmes soient « féministes » et s’élèvent contre un « patriarcat » qui serait le coeur du problème, parfait : çà les occupe, les hommes aussi, et pendant ce temps on exploite tranquillement tout ce beau monde ;)
A noter que l’oeuvre d’Ovidie ne dénonce pas autre chose. Moins clairement et crûment que Despentes, certes : mais le message demeure, qu’il serait temps de faire converger les luttes au lieu de couiner chacun(e) dans son coin !