Entre une sous-représentation des femmes, des rôles sexués stéréotypés et un unique modèle familial… les manuels de lecture en CP ne transmettent pas l’égalité. Le Centre Hubertine Auclert les a passés au peigne fin.
« Et si on apprenait l’égalité ? » Après les manuels des lycéens, le Centre Hubertine Auclert s’est penché sur 22 manuels de lecture pour les classes de CP, provenant de 10 maisons d’édition. « Le constat est à nouveau sans appel », note le centre francilien de ressource pour l’égalité femmes-hommes : l’égalité est encore loin.
> Voir l’étude sur « les représentations sexuées et sexistes dans les manuels de lecture du CP »
D’une manière générale les femmes et les filles sont sous-représentées. L’étude compte 2 femmes pour 5 hommes. Pour les personnages de fiction – qui représentent 96% de tous les personnages évoqués dans les manuels de lecture – le pourcentage est le même avec 39% de femmes. Et lorsqu’il s’agit d’animaux anthropomorphes sexués, il tombe à 28% – 335 animaux sur 1190 sont féminins.
Le Centre Hubertine Auclert remarque : « Les animaux identifiés comme féminins sont davantage désignés en fonction de leur lien de parenté avec les autres personnages (Maman Poule, la fiancée du mammouth…) », alors que les animaux de sexe masculin sont désignés en fonction de leur espèce.
Le masculin l’emporte toujours sur le féminin
Et la non-féminisation des noms n’aide pas les jeunes écolières à s’identifier aux quelques femmes évoquées dans ces manuels. Qu’il s’agisse d’un « cheval » qui apparaît pourtant clairement comme un personnage féminin, ou d’un « professeur » sans -e-, les auteures des manuels (majoritairement des femmes) rechignent à féminiser leurs sujets. « Cela influence les élèves dans leur perception des métiers (on transmet l’idée d’activités réservées aux hommes et aux femmes ) », estime le centre de ressource pour l’égalité femmes-hommes.
Les articles des Nouvelles NEWS sur les précédentes études du Centre Hubertine-Auclert : |
Les seules activités présentées au féminin sont celles traditionnellement réservées aux femmes : infirmière, femme de ménage, dame de cantine. Le Centre Hubertine Auclert note d’ailleurs « une femme est ‘paysanne’ quand un homme est ‘agriculteur’ ».
C’est seulement lors de l’apprentissage sur l’accord du féminin que la féminisation des métiers apparaît, mais toujours en partant du masculin. « Pourtant, les travaux du grammairien Yannick Chevalier ont démontré l’intérêt pédagogique de partir du féminin pour être capable d’orthographier le mot au masculin », remarque le centre.
« Julie est belle avec ses tresses, avec sa nouvelle dînette, elle fera une omelette »
En plus d’être sous-représentées, les femmes et les filles sont assignées à des rôles très stéréotypés. Exemples à l’appui, dans Bulle, les auteures (trois femmes) décrivent les activités de deux esquimaux. Le garçon « part à la chasse au phoque avec son harpon » tandis que la fille garde son petit frère au chaud dans l’igloo. Dans le Manuel de Lecture, « Julie est belle avec ses tresses, avec sa nouvelle dînette, elle fera une omelette ». Bruno, lui, préfère « faire la pirouette ». Les filles pratiquent le plus souvent des activités calmes, assez maternelles tandis que les garçons occupent l’espace, via, notamment, des activités sportives. Le Centre Hubertine Auclert a compté seulement 123 filles sur 370 personnes pratiquant un sport, soit 33,2%.
Maman à la maison, papa au travail
Les rôles modèles sont donc très limités et stéréotypés, pour les filles comme pour les garçons. Et cela se poursuit dans la représentation des adultes. Les femmes, dans les manuels scolaires, sont la plupart du temps mères ou grand-mères.
« De manière assez attendue, le nombre de femmes parmi les adultes pratiquant des activités ménagères est très élevé : elles sont 40 pour 17 hommes pour ce qui est de la cuisine, du ménage et de l’organisation des repas, soit 70,2% », évalue le centre. Dans le manuel A l’école des albums, les trois auteures écrivent : « Ce soir-là, comme d’habitude, la maman de Tanguy met la table, pendant que son père et son frère regardent le foot à la télé ».
Pour les loisirs, les femmes sont – comme les filles – confinées à l’intérieur. Les hommes peuvent bricoler ou jardiner tandis que les « mamans » pratiquent majoritairement des loisirs silencieux, reposant : la peinture, la couture, le tricot, etc. Et lorsqu’elles arrivent à sortir de cet espace, quand elles arrivent enfin à pratiquer un sport d’extérieur, elles souffrent : « De rares textes mettent en scène des femmes de fiction pratiquant un sport, mais ces mises en situation sont stéréotypées, comme dans Taoki et compagnie où une illustration montre une famille faisant une randonnée en raquettes : le père et le frère sont devant, puis arrive la fille et enfin la mère qui peine à les rejoindre. Son visage exprime un effort physique important, contrairement aux autres personnages ».
Lire aussi : Dans les programmes pour enfants, le genre reste une contrainte
Quant au travail, seules 21,8% des femmes sont identifées comme ayant un emploi, contre 42,5% des hommes (431 personnages féminins travaillent, contre 1492 hommes). Une sous-représentation notable qui se poursuit dans l’ensemble des catégories professionnelles. A noter que le plafond de verre s’impose plus lourdement dans les métiers scientifiques – 2 femmes pour 56 hommes – ou le maintien de l’ordre avec un petit 1% de femmes.
– 42,5% des hommes ont un métier identifié, contre seulement 21,8% des femmes. |
Enfin, un dernier problème majeur apparaît, celui d’un unique modèle familial. Pour cause, tous les parents présentés par les manuels scolaires étudiés sont blancs, assez aisés et hétérosexuels.
« Apprendre l’égalité dès le plus jeune âge est pourtant fondamental pour grandir dans le respect de l’autre et s’épanouir librement. Filles et garçons doivent en outre pouvoir se projeter dans des modèles diversifiés afin d’appréhender la multiplicité du monde et des possibles », écrit Djébéba Keita, la présidente du Centre Hubertine Auclert. C’est mal parti.
Lire aussi sur Les Nouvelles NEWS :
Des stéréotypes sexistes dans un exercice de l’Éducation nationale ?
Tourner la page des livres en rose ou bleu
Et notre dossier STÉRÉOTYPES PARTOUT