Quand des manifestants anti-PMA croisent leurs adversaires, ils crient « les sorcières au bûcher ». Elles répondent antipatriarcat… Tout un programme de « sorcière ».
L’examen de la loi bioéthique par le Sénat, entre le 21 janvier et le 4 février, a réveillé les ardeurs de la Manif pour tous et autres associations du même genre, rassemblées pour l’occasion dans le collectif « Marchons enfants ». Plusieurs milliers de militants se sont rassemblés à Paris, le 19 janvier, pour protester contre l’extension de la PMA à toutes les femmes.
En réponse, plusieurs militantes féministes se sont rassemblées. Elles ont crié « antipatriarcat » et se sont embrassées, au passage de la manifestation. La photographe Tay Calenda a capté les réactions virulentes des manifestants : « connasses ! », « fascites ! » et… « sorcières, au bûcher », scandé par un petit groupe.
Au XXIe siècle, des hommes peuvent donc hurler un appel au meurtre, en plein Paris… Un tel slogan ne doit rien au hasard. Il témoigne à la fois de la réappropriation par les féministes de la figure de la sorcière, et de la violence des militants envers le combat pour l’égalité.
Symbole du féminisme…
L’appropriation de la figure de la sorcière par des féministes remonte aux années 1970. Plus précisément, la date souvent avancée est 1968, lorsqu’un groupe de militantes déguisées en sorcières vont à Wall Street pour y jeter un sort. Leur nom : Witch, pour Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell. Dans leur manifeste, ces activistes expliquent leur choix : « Les sorcières ont toujours été des femmes qui ont osé être inspirées, courageuses, agressives, intelligentes, non conformistes, exploratoires, curieuses, indépendantes, sexuellement libérées, révolutionnaires. » Ce que revendiquent nombre de féministes.
Après avoir un peu disparu dans les multiples changements et évolutions des mouvements féministes dans les années 1980 à 2000/2010, la figure de la sorcière semble avoir refait surface ces dernières années. Ainsi, en 2017, un Witch (sorcière en anglais) Bloc est formé lors d’une manifestation contre Emmanuel Macron. Un an plus tard est publié Sorcières, la puissance invaincue des femmes, de la journaliste Mona Chollet, qui connaît un grand succès. Et depuis quelques années des mouvements écoféministes lient fortement la question des femmes et celle de la nature, et eux aussi, se réfèrent à la figure de la sorcière.
…et figure repoussoir
En s’attaquant aux « sorcières », les militants anti-PMA s’adressent donc aux féministes. Mais pas seulement. « La sorcière incarne la femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations », écrit Mona Chollet. C’est bien à cette figure femme indépendante que s’en prennent les manifestants. Historiquement, ce schéma est bien connu et il se répète inlassablement. À chaque fois que les femmes se sont battues pour s’approprier un espace, un savoir, un droit, une liberté, immédiatement leur place et leur légitimité ont été remises en question et violemment attaquées. Et même lorsqu’elles ne se battaient pas. Les sorcières qui ont été autrefois pourchassées étaient pour beaucoup des guérisseuses. Leur seul tort était d’occuper un espace à elles, dans lequel les hommes n’avaient pas prise.
Ceux qui refusent la PMA à toutes les femmes brandissent des drapeaux « Liberté, égalité, paternité », évoquent sans cesse le père. De quoi ont-ils peur ? De voir les hommes perdre leur place ? Craignent-ils qu’en ouvrant ce nouveau droit aux femmes, on leur enlève quelque chose ? Un peu comme ceux qui ont peur que la lutte contre le harcèlement sexuel les empêche de draguer. Et si, en réalité, ce qui les effrayait, c’était l’extension du domaine d’indépendance des femmes ?
Et cette peur a des conséquences. Pour les fameuses sorcières, ce furent de nombreux sévices et de multiples condamnations à la peine capitale. Car, rappelle Mona Chollet, « avant de devenir un stimulant pour l’imagination ou un titre honorifique, le mot sorcière avait été la pire des marques d’infamie, l’imputation mensongère qui avait valu la torture et la mort à des dizaines de milliers de femmes ». La journaliste n’hésite pas à parler de crime de masse.
Voilà pourquoi crier à des militantes « sorcières, au bûcher », ce n’est pas faire un bon mot, ce n’est pas réutiliser une figure positive pour elles dans le but de la détourner. C’est faire appel positivement à un épisode historique marqué par de très nombreuses mortes, un passé dramatique encore évoqué avec trop d’insouciance.
Hortense Lasbleis et Nina Villaume