Après 18 mois de réflexion, la « Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social » vient de rendre son rapport au président de la République. Objectif : proposer des indicateurs de richesse alternatifs au Produit Intérieur Brut (PIB). L’occasion d’exaucer un vœu d’économistes de gauche ? Pas sûr. Le PIB reste le Graal de l’économie.
Le 14 septembre, jour anniversaire de la chute de la banque américaine Lehman Brothers, les plus éminents économistes de la planète, sous la direction de deux prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz et Amartya Sen, et de Jean-Paul Fitoussi, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ont remis à Nicolas Sarkozy leur rapport. Du bruit, des effets de manche. Le président de la République l’a promis : « il y aura un avant et un après ce rapport ».
Le but : proposer des indicateurs alternatifs au PIB. Ce dernier ne prend en compte que la vente de biens et services marchands mais ignore le bien-être et les destructions de l’environnement dus à certains modes de production.
Quoi de neuf ? Le rapport reprend, détaille et promet de rendre opérationnelles des idées et des préconisations existantes .Lesquelles passent ainsi de cerveaux hétérodoxes à cerveaux orthodoxes. L’idée, qui avait germé chez les économistes de gauche, éclot à droite avec, en toile de fond, une excuse : la crise économique oblige à revoir quelques fondamentaux. Le Forum pour d’autres indicateurs de richesse (FAIR) regroupant ces chercheurs de gauche, applaudit en partie la démarche (Voir l’interview de Dominique Méda dans « La vie des idées ».) Tout le monde est d’accord sur cette idée simple : le PIB ne peut plus être l’alpha et l’oméga des politiques publiques.
Trop d’indicateurs monétarisés
Là s’arrête le consensus. Premier problème : la place accordée à ces autres indicateurs. La plupart des membres de la commission, y compris Joseph Stiglitz continuent de faire de la croissance, et donc du PIB, l’horizon indépassable du développement de nos sociétés. Un dogme dont même le Medef commence très légèrement à se méfier (voir ici). Les nouveaux indices risquent d’être juste un coup de blush sur le PIB, une mesure cosmétique là où une opération chirurgicale lourde aurait été indispensable. Autre reproche adressé par le FAIR : la place excessive des indicateurs monétarisés. La commission parle de « produit national net », qui prendrait en compte les effets de la dépréciation du capital naturel ou social. Et elle embrouille les esprits avec « l’Epargne nette ajustée. » Or tout ce qui compose le bien-être ne peut pas forcément être monétarisé.
Pourtant, au sein même de la commission Stiglitz – Sen – Fitoussi, des idées neuves ont été évoquées consistant, non pas à transformer en monnaie l’ensemble des données, mais à utiliser d’autres éléments. Le temps par exemple. Nancy Folbre, professeure à l’Université du Massachussets (USA) citant les travaux de sa consœur française Dominique Méda (du FAIR), propose de mesurer le temps passé à des activités non marchandes au service du bien-être de la famille (travail domestique ou familial.) « La valeur de ce travail non marchand représenterait 35 % du PIB si les membres de la famille devaient le sous-traiter, souligne-t-elle. Pour le prendre en compte, on peut utiliser les enquêtes budget-temps qui existent déjà en France. Et utiliser cet indicateur de temps pour mesurer la richesse. » De même les loisirs comptent pour beaucoup dans le bien-être. Difficile de traduire en monnaie ce qu’ils apportent au bien-être. « Il faut donc développer des mesures fines de ces activités et savoir ce que ces activités non marchandes apportent au capital naturel, humain, social » ajoute-t-elle.
Juan Somavia, directeur de l’Organisation internationale du travail (OIT) a appelé, lui, à la mesure du « mal travail », du travail précarisé, à prendre en compte le rôle social du travail, la notion de qualité du travail… Autant de notions difficilement monétisables. Indispensables. Des thèmes que notre sondage faisaient ressortir. Des thèmes peu développés dans le rapport.
Et après la commission ? Chantal Jouanno, secrétaire d’Etat chargée de l’écologie a annoncé qu’une nouvelle commission créée par Jean-Louis Borloo, ministre du développement durable, allait reprendre le flambeau. Elle réunira, à l’image du Grenelle de l’environnement, des membres de la société civile, des élus, des entreprises, partenaires sociaux et associations.
Les douze Commandements du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi |
1- Se référer aux revenus et à la consommation plutôt qu’à la production pour évaluer le bien-être matériel. 2- Mettre l’accent sur la perspective des ménages. Pour mesurer l’évolution de leur niveau de vie, prendre en compte les impôts, les prestations sociales, les intérêts d’emprunts, ainsi que les services en nature fournis par l’Etat (santé et éducation). 3- Prendre en compte le patrimoine en même temps que les revenus et la consommation. Généraliser pour les ménages la notion de bilan, avec un actif et un passif, comme ce qui se fait pour les entreprises. 4- Accorder plus d’importance à la répartition des revenus, de la consommation et de la richesse. La notion de « médian » est souvent plus pertinente que celle de « moyenne ». 5- Elargir les indicateurs de revenu aux activités non marchandes. Certains services (garde d’enfants, ménage, bricolage, etc.) sont achetés sur le marché. Mais lorsqu’ils sont réalisés par un membre de la famille, ils ne sont pas pris en compte. La commission propose désormais de les recenser. En outre elle propose de valoriser les loisirs. 6- Améliorer les mesures de la santé, de l’éducation et des conditions environnementales. Appréhender la qualité de vie, qui dépend, entre autres, de la santé, de l’éducation, du droit à l’emploi et à un logement décent, de la participation au processus politique, de la sécurité… 7- Evaluer de façon exhaustive les inégalités. Entre personnes, catégories socio-économiques, sexes, générations et celles liées à l’immigration. 8- Evaluer les liens entre les différents aspects de la qualité de vie des individus. Comprendre comment les évolutions dans un domaine de la qualité de la vie affectent les autres domaines. 9- Définir des indices synthétiques de la qualité de vie. 10- Intégrer dans les enquêtes des instituts de statistiques des questions sur l’évaluation que chacun fait de sa vie, de ses expériences et de ses priorités. 11- Evaluer la « soutenabilité » du bien-être, c’est-à-dire sa capacité à se maintenir dans le temps. Comment l’activité humaine impacte certains « stocks » sous-jacents : ressources naturelles, capital humain, social et physique. 12- Etablir des indicateurs liés à l’environnement avec niveau d’alerte. |
Lire aussi l’article d’Anne-Sophie Novel.