Gabriel Attal nomme Miss France « ambassadrice des mathématiques » pour lutter contre une « autocensure des filles ». Miss France ne l’entend pas tout à fait ainsi : « ne laissez personne vous dire que ce n’est pas pour vous » dit-elle aux filles. Femmes & Mathématiques appelle à des réformes structurelles.
A l’occasion de la journée mondiale des Mathématiques, le Premier ministre Gabriel Attal a décidé de nommer Eve Gilles, Miss France 2024, « ambassadrice » des mathématiques auprès des filles. La jeune femme, qui souhaite devenir statisticienne, est en 2e année de licence MIASHS (Mathématiques et informatique appliquées aux sciences humaines et sociales).
Dans une vidéo publiée jeudi sur le compte Instagram de Miss France, Gabriel Attal a dit vouloir « continuer à avancer pour les maths » et faire de l’accroissement de « la part de filles qui font des maths » une « priorité absolue ». « Trop de filles s’autocensurent. (…) Il faut qu’on arrive à changer ça », a-t-il assuré.
Autocensure ou éducation sexiste ? Le Premier Ministre et Miss France ne tiennent pas tout à fait le même discours.
En commentaire de la vidéo, Eve Gilles qui a invité les filles à être « nombreuses à nous engager dans ces carrières qui façonnent le monde de demain », a affirmé : « Ne laissez personne vous dire que ce n’est pas pour vous ! »
Car si autocensure des filles il y a, elle ne vient pas de nulle part. Les filles ont beaucoup trop entendu et entendent beaucoup trop dire que les métiers scientifiques ne sont pas pour elles. De la même façon que pour prévenir les violences sexistes et sexuelles, il faut privilégier l’éducation des garçons au lieu de se contenter d’apprendre aux filles à se défendre, pour endiguer les stéréotypes, il faut faire évoluer ceux qui les propagent, pas seulement celles qui les subissent.
Or le choix de Miss France comme ambassadrice n’est pas complètement de nature à vaincre ces stéréotypes. L’idée que le Graal pour une femme est d’être belle avant tout plane toujours avec ce symbole. Pour une femme il faudrait d’abord être belle, se passionner pour les mathématiques serait une option. Choisir comme ambassadrices des lauréates de prix scientifiques ou de grandes chercheuses aurait véhiculé un tout autre message.
Pourtant, il y a fort à faire pour réparer les dégâts causés par la réforme de 2019 initiée par Jean-Michel Blanquer qui avait considérablement réduit l’enseignement des mathématiques. Rendu optionnel en première et en terminale, cet enseignement avait été boudé par les filles qui se conformaient ainsi aux normes de genre. La réforme inquiétait les partisans de l’égalité, mais aussi les industriels français qui anticipaient des problèmes de recrutement de scientifiques.
Lire : MATHÉMATIQUES, ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE ET INNOVATION : L’AVENIR EST SOMBRE
Dans une étude publiée dans The Conversation, Mélanie Guenais, vice-présidente de la Société mathématique de France montre que : « depuis la réforme de 2019, les effectifs scientifiques s’effondrent : la baisse est de 30% pour les garçons et de 60% pour les filles. » Présenté autrement : la part des bacs scientifiques parmi les bacheliers et bachelières généraux est passée, chez les garçons, de 63% en 2018 à 41% en 2022… Et chez les filles : de 44% en 2018 à 17% en 2022.
La réforme a cassé la progression. Le taux de bachelières scientifiques était passé de 35 à 44% entre les années 1980 et 2019.
L’association Femmes et Mathématiques se réjouit des déclarations faites par Eve Gilles mais prévient : « Nous attirons l’attention du monde politique sur le fait que nommer une ambassadrice, quels que soient ses mérites, ne saurait remplacer une réforme systémique pour enrayer la chute des effectifs de filles dans les parcours scientifiques dès le lycée. Que la magie de Miss France permette de l’oublier serait un mauvais coup porté aux filles et aux mathématiques. »
Lire aussi dans Les Nouvelles News
RETOUR DES MATHÉMATIQUES OBLIGATOIRES AU LYCÉE : BON POUR LES FILLES
FILLES ET MATHÉMATIQUES : LUTTER CONTRE LES STÉRÉOTYPES INSIDIEUX
SANS ÉPREUVES ORALES, DAVANTAGE DE FEMMES À NORMALE-SUP EN LETTRES, PAS EN SCIENCES
FACE AU CYBERHARCÈLEMENT, LES FÉMINISTES VOLENT AU SECOURS DE MISS FRANCE
MISS FRANCE ET FÉMINISME, LA GRANDE CONFUSION