Non, l’Islande ne vient pas de rendre illégales les différences de salaires femmes/hommes (elles l’étaient déjà). Oui, elle met en place un nouvel outil novateur pour l’égalité salariale. Encore faudra-t-il s’en servir.
Vous n’avez sans doute pas échappé à ces titres ces derniers jours : « L’égalité salariale devient obligatoire en Islande » ; ou encore : « Il est maintenant illégal de payer les femmes moins que les hommes en Islande ». En France et ailleurs, la presse s’est ruée sur un article d’abord publié par Al Jazeera le 1er janvier, expliquant que l’Islande « devient le premier pays à légiférer sur l’égalité salariale ».
Sauf que les mots ne sont pas exacts, et révèlent un « journalisme bâclé », commente Brynhildur Heiðar- og Ómarsdóttir, directrice de l’Association islandaise des droits des femmes Kvenréttindafélag Íslands, interrogée par Les Nouvelles NEWS.
Dès 1961 la législation islandaise actait que les femmes et les hommes doivent recevoir un salaire égal à travail égal ou équivalent. Cela fait donc près de 50 ans que l’égalité salariale est obligatoire, qu’il est illégal de payer les femmes moins que les hommes. Comme c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui dans tous les pays d’Europe. Depuis 1972 en France, par exemple.
Bien sûr, cette égalité-là est théorique. Et la nouvelle loi islandaise, entrée en vigueur ce 1er janvier, est bel et bien « novatrice », estime Brynhildur Heiðar- og Ómarsdóttir. Ce qui est nouveau, c’est qu’elle met en œuvre un outil précis pour passer de la théorie à la pratique : une certification obligatoire. Les Nouvelles NEWS l’avaient déjà évoqué lorsque le gouvernement l’avait présentée au printemps 2017.
Voir : “Jafnlaunavottun” : l’Islande veut imposer une certification pour l’égalité salariale
Au 31 décembre 2018 pour les plus grosses, et 2021 pour les plus petites, toutes les entreprises et institutions islandaises d’au moins 25 salarié·e·s devront avoir obtenu la certification d’une « norme d’égalité salariale » (déjà existante, mais jusqu’alors facultative). Une norme prouvant « que les procédures et les décisions relatives aux rémunérations reposent sur des critères objectifs et ne constituent pas une discrimination sexuelle ». Les entreprises qui n’auront pas obtenu cette certification, à renouveler tous les trois ans, pourraient se voir infliger des amendes allant jusqu’à 50 000 couronnes islandaises (400 euros) par jour.
Cette norme islandaise, de son petit nom ÍST 85, « a été élaborée selon les standards internationaux ISO, afin qu’elle puisse facilement être traduite et mise en œuvre dans d’autres pays, comme la France », commente Brynhildur Heiðar- og Ómarsdóttir.
Reste un (gros) bémol. Cette certification obligatoire sur l’égalité salariale vient s’ajouter à une autre obligation déjà en place depuis 2008 en Islande – et en France depuis 2014 : les entreprises sont tenues d’adopter des plans d’action sur l’égalité professionnelle. Mais à ce jour, contrairement à la France où plus d’une centaine d’entreprises ont dû payer une amende, aucun contrevenant n’a été sanctionné en Islande, observe Brynhildur Heiðar- og Ómarsdóttir, qui souligne donc le rôle du mouvement féministe islandais :
« Avoir une législation progressiste ne suffit pas. Il faut s’assurer que le Centre pour l’Égalité de Genre, organe gouvernemental de contrôle, ait les moyens suffisants de vérifier que les entreprises suivent les règles et s’assurer qu’il y a une vraie volonté politique de sanctionner celles qui ne les respectent pas ! »
Quels écarts de salaires ? Selon Eurostat, l’institut statistique européen. L’écart de salaire brut horaire entre les hommes et les femmes en Islande était de 17,5% en 2015, dernière année pour laquelle des données sont disponibles (il est estimé en France à 15,8%). Il ne s’agit toutefois pas d’une différence de salaires à travail égal ou équivalent, puisque ce chiffre prend en compte les différences de secteurs d’activité, de catégories socio-professionnelles (sachant que les métiers les plus féminisés sont souvent ceux qui sont les moins rémunérés) et les évolutions de carrières. En France, la part « inexpliquée » des écarts de salaires hommes/femmes est de l’ordre de 10% selon l’INSEE. |
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