Intéresser les hommes à la promotion de l’égalité dans l’entreprise, c’est aussi leur permettre de se libérer du poids des normes.
En tant que détenteurs majoritaires du pouvoir, les hommes sont en capacité de promouvoir l’égalité professionnelle. C’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles, selon l’ORSE (Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises), il est crucial de sensibiliser les hommes. Et, même s’ils bénéficient d’une position plus avantageuse dans l’entreprise, les hommes sont eux aussi concernés par les stéréotypes de genre. Ceux-ci les enferment dans des comportements défavorables à l’avancement des femmes. Mais ce n’est pas tout : ils peuvent provoquer de la souffrance chez les hommes qui ne s’y conforment pas.
« Libérer les hommes »
« Ces normes de comportement s’imposent à tous dans l’entreprise… et surtout aux hommes », expliquait François Fatoux, délégué général de l’ORSE, à l’occasion d’une « Soirée Spéciale Hommes » organisée par le Club DéciDRH le 7 mars. « Citons la compétition, avec laquelle sont éduqués les garçons dès la cour de récréation. Une fois adultes, ceux-ci vont être préoccupés par l’importance d’avoir les plus gros salaires, ou les meilleurs avantages… Ce qui a des effets extrêmement négatifs. » Et de citer une autre norme, celle de « l’infaillibilité ». « On suppose que l’homme doit toujours savoir répondre aux questions, qu’il ne doit jamais douter. Si l’un d’entre eux ne se conforme pas à ce modèle, s’il refuse un traitement viril, machiste, ou d’adhérer à des terminologies qui peuvent parfois être très violentes, il peut être exclu. » Ce qui nous renvoie à une autre norme : la logique (masculine) du « clan ».
Les hommes, victimes de ce qui aurait construit leur domination ? Cité dans un guide (1) élaboré par l’ORSE, l’universitaire américain Michael Kaufman va dans le même sens : « La remise en question féministe du pouvoir des hommes peut en substance (les) libérer et les aider à découvrir de nouvelles façons d’être des hommes. (Ils) seront dédommagés peu à peu pour les pertes de privilèges et de pouvoir qu’ils encourront. En effet, la souffrance, la peur, les formes dysfonctionnelles de comportement, le sentiment de perte, la violence que d’autres hommes leur infligent, la violence qu’ils s’infligent à eux-mêmes, la pression constante de devoir briller et réussir et l’impossibilité totale de pouvoir vivre avec les idéaux masculins de la société patriarcale cesseront. »
A ce propos, François Fatoux rappelle que les trois quarts des « suicides professionnels » sont commis par les hommes. Et s’il rappelle que la priorité est de favoriser l’égalité homme-femme, il insiste : prendre en compte ce phénomène pourrait faire réaliser aux hommes les plus récalcitrants que l’égalité professionnelle n’est définitivement « pas un sujet de ‘bonnes femmes’ ». Et que la promouvoir aurait le mérite de « réinterroger le monde de l’entreprise ».
« L’égalité professionnelle implique également l’égalité domestique »
Mais, dans les faits, les obstacles à leur implication restent nombreux. Michael Kimmel, spécialiste de la question, en distingue trois. Tout d’abord, l’invisibilité de la problématique du genre pour les hommes, « ceux qui jouissent de privilèges de par leur appartenance à un groupe » ne s’en rendant pas compte. Ensuite, le sentiment que tout leur est dû : toute action positive en faveur des femmes est donc « vue comme une discrimination négative à leur égard », quand bien même ils profitent eux-mêmes depuis toujours « d’un quota de 100% ». Enfin, « le comportement et le regard des autres hommes », qui peut souvent les amener à développer des « stratégies de dissimulation de leurs désirs de s’impliquer dans la sphère familiale ». François Fatoux rappelle à cet égard qu’à ce jour 97% des femmes, et seulement 3% des hommes prennent un congé parental. « L’égalité professionnelle implique également l’égalité domestique. » Force est de constater, et de répéter, que nous en sommes encore loin.
L’une des pistes de solutions avancées par l’ORSE, afin d’impliquer davantage les hommes dans l’égalité professionnelle, serait de… leur donner la parole. « La plupart du temps, seules les femmes assistent aux réunions de ce type, constate François Fatoux. Par ailleurs, les hommes que nous avons rencontrés dans le cadre d’une enquête ont réalisé qu’ils ne s’étaient jamais encore exprimé sur cette question. Ils nous ont aussi confirmé qu’il était extrêmement difficile pour eux de mener une vie de famille. » D’autres s’estiment comme faisant partie d’une « génération sacrifiée », dépassés par les femmes « bénéficiant de la discrimination positive ». L’occasion pour Claudie Baudino, chercheuse en sciences politiques ayant travaillé sur le langage et les représentations, et responsable de mission à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), d’ajouter : « Ce à quoi les femmes aspirent est socialement valorisé. C’est le contraire pour les hommes. » Un autre obstacle à leur implication.
(1) « Les hommes : sujets et acteurs de l’égalité professionnelle » (http://www.orse.org/hommes_sujets_et_acteurs_de_l_egalite-52-257.html)