A l’approche de la journée internationale contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre, le terme de « féminicide » fait surface. En France, le père de Cassandre Bouvier, tuée en Argentine l’été dernier, se bat pour faire entrer cette notion dans le droit pénal. Retour sur ce combat, mais aussi sur celui de l’éducation à l’égalité et sur l’implication des hommes, avec Olivia Cattan, présidente de l’association ‘Paroles de femmes’.
Les Nouvelles NEWS : ‘Parole de femmes’ soutient Jean-Michel Bouvier pour faire reconnaître dans le droit français la notion de féminicide. Pourquoi cette démarche ?
Olivia Cattan : Il faut soutenir ce père, qui a perdu sa fille dans des conditions terribles. C’est une façon pour lui de conserver la mémoire de sa fille et d’Houria. C’est un combat qui lui semble juste, et que je trouve juste également. Le féminicide a été adopté par plusieurs pays en Amérique du Sud (voir encadré). Je trouve que faire entrer cette notion dans le droit serait très symbolique pour la France, où les chiffres des violences contre les femmes restent trop élevés, qu’il s’agisse de harcèlement, d’agression, de meurtre, de viol… Ce serait aussi une façon de montrer que ces crimes sont particuliers. Quand on tue une femme, qu’on la viole, on s’en prend à son intégrité physique.
Une notion à définir
Cassandre Bouvier, 29 ans, et Houria Moumni, 24 ans, ont été violées et tuées en juillet 2011, alors qu’elles effectuaient une randonnée dans le nord de l’Argentine. Le père de Cassandre, Jean-Michel Bouvier (lire son portrait dans Libération), se bat depuis lors pour introduire dans le droit pénal français la notion de féminicide, qu’il définit comme « le fait de battre, violer et assassiner une femme ». Une notion qui reste difficile à définir. Au Pérou, la ministre de la Femme, Aida Garcia Naranjo, vient d’annoncer que le féminicide sera intégré dans le nouveau code pénal. Mais l’approche est différente : le féminicide serait une circonstance aggravante pour le meurtre d’une femme commis par un conjoint ou ex-conjoint, un partenaire ou un ex-partenaire. Dans le droit français, le mot n’existe pas mais le principe est le même : le fait d’être le ou l’ex conjoint ou concubin est une circonstance aggravante en cas de crime ou de délit. Selon la ministre péruvienne, 6 autres pays latino-américains – le Chili, le Costa Rica, la Colombie, le Salvador, le Guatemala et le Mexique – ont déjà fait du crime contre les femmes une qualification distincte. |
On peut objecter que parler de féminicide est une façon de victimiser les femmes, de les inférioriser…
Bien sûr, nous comprenons ce débat. On ne veut pas victimiser les femmes, cela n’a jamais été notre propos. Mais je suis persuadée qu’il faut une approche spécifique pour faire reculer les violences. Nous plaidons aussi, en recevant les mêmes critiques, pour des tribunaux spécifiques pour juger les violences faites aux femmes. Il y a bien des tribunaux de commerce, des tribunaux pour enfants… parce que ce sont des situations spécifiques pour lesquelles tous les personnels doivent être formés, y compris les juges. Quand vous allez dans un commissariat déposer une plainte pour violence conjugale et que la police n’est même pas au courant de la loi de 2010, on ne peut que constater qu’il y a un problème. Mais bien sûr il ne suffit pas d’un arsenal juridique. La lutte est globale et passe d’abord par la prévention.
‘Paroles de femmes’ mène justement des actions de prévention dans les collèges et lycées. Sentez-vous une évolution des comportements chez les jeunes ?
Pas vraiment, malheureusement. Sur une année, quand nous revenons plusieurs fois dans un établissement, on peut voir que les propos et les comportements changent. Mais il faudrait pouvoir mener partout ce travail de longue haleine. On ne peut que constater une très grande violence entre garçons et filles ; beaucoup d’insultes, du harcèlement, des agressions… Et parfois, même, les filles répondent à la violence par la violence. Elles créent des petits gangs, cela peut alors aller très loin.
J’ai fait, par ailleurs, des interventions en centre de détention, où se trouvent des violeurs qui ont entre 13 et 17 ans. Et ce qui m’a le plus marqué, c’est à quel point ils n’ont pas pris la mesure de ce qu’ils ont fait. Je m’attendais à voir des jeunes très violents, et pas du tout, ce sont des enfants ; des enfants qui pensent que ce qu’ils ont fait n’est pas grave. Il y a toute une éducation à faire.
Une nouvelle campagne lancée par votre association à l’approche de la journée internationale contre les violences faites aux femmes implique justement les hommes…
Bien sûr, il faut répéter que n’est pas qu’une affaire de femmes. Il y a beaucoup d’hommes qui s’investissent dans les associations. La moitié des membres de ‘Paroles de femmes’ sont des hommes. A l’inverse, d’ailleurs, certaines femmes n’ont rien à faire du droit des femmes, sont même misogynes. C’est n’est pas une question de guerre des sexes, de vouloir placer les femmes au dessus des hommes : c’est une question d’égalité des droits. Les femmes méritent le même salaire que les hommes, et elles méritent qu’on respecte leur intégrité.