Le nouveau film de Kaouther Ben Hania sort en salle précédé d’une ovation à la Mostra de Venise suivie de multiples prix dans les festivals et de la caution de VIP du cinéma mondial, notamment Brad Pitt, Alfonso Cuaron, Rooney Mara, Jonathan Glazer… Un film-mémoire du massacre de Gaza.
Comment réaliser une fiction sur un conflit en train de se dérouler loin des regards, la terrible destruction de Gaza ? La cinéaste tunisienne Kaouther Ben Hania a choisi de mêler documentaire et fiction, dispositif qu’elle pratique depuis ses premiers films, toujours engagés. « La voix de Hind Rajab » c’est le martyr d’une petite fille de six ans, Hind Rajab, coincée dans une voiture où ses tantes et cousins venait d’être tués par des snipers israéliens. Ses appels à l’aide auprès du Croissant-Rouge Palestinien ont été enregistrés, puis diffusés le lendemain de sa mort, fin janvier 2024, par les radios du monde entier.

La cinéaste est partie des véritables voix de la petite Hind et de ses sauveteurs pour recréer le drame en temps réel avec des comédiens, tous palestiniens, dans les locaux reconstitués du Croissant-Rouge à Ramallah. Souhaitant faire acte de mémoire, la cinéaste a rencontré la mère de Hind, qui a accepté pour que sa fille ne soit pas « oubliée dans l’amas de cadavres de Gaza ». Si cette jeune mère de 29 ans a refusé de voir le film terminé, elle l’accompagne avec la réalisatrice dans certains festivals et débats et a pu ainsi sortir de Gaza.
Kaouther Ben Hania assume de jouer la corde émotionnelle à fond, tout en nous rappelant régulièrement son dispositif : une onde radio apparait à l’écran lorsque Hind parle, dans la bande sonore les dialogues joués par les acteurs sont mélangés avec ceux des vrais secouristes, de même quand une bénévole filme de son portable la psychologue du Croissant-Rouge, sur l’écran de son téléphone , c’est la véritable psychologue qui apparait et parle.
« La voix de Hind Rajab » est une forme de réponse à la pléthore d’images violentes de Gaza que l’on peut trouver sur les réseaux sociaux. Notre impuissance reste entière, tout comme à la vue de « Put your soul on your hand and walk », chroniqué ici en septembre. Le cinéma a aussi un devoir de mémoire.
« La voix de Hind Rajab » de Kaouther Ben Hania, (docu-fiction, France Tunisie, 1h29), avec Saja Kilani, Motaz Malhees, Amer Hlehel, Clara Khoury, produit par Tanit Films et Mime Films, distribué par Jour2Fête, en salle le 26 novembre 2025.
Qui est Kaouther Ben Hania ?
Les Nouvelles News a mis en lumière ses films depuis le premier, voici dix ans, « Le challat de Tunis ».
La cinéaste a fait ses études en cinéma à Tunis et à Paris (la Fémis et la Sorbonne). Ses premiers longs métrages, « Le Challat de Tunis », « Zaineb n’aime pas la neige », « La Belle et la meute », mélangeaient déjà documentaire et fiction, s’inspirant de faits divers ou les recréant. En 2020, « L’homme qui a vendu sa peau » représentait la Tunisie aux Oscars. Pour sa première fois en compétition cannoise, « Les filles d’Olfa » était lui aussi construit autour d’un fait divers réel recréé avec des comédiennes face à Olfa et deux de ses filles. Ce film a reçu en 2024 le César du meilleur film documentaire. Un an plus tard, « La voix de Hind Rajab » va sans doute émouvoir nombre de spectateurs quand d’autres se sentiront manipulés. A ces derniers, Kaouther Ben Ania répond : « Je ne dirais pas que le film « brouille » les frontières entre les genres. À mon sens, il les intensifie et repousse les limites de ce que la fiction peut recouvrir, de ce que le documentaire peut protéger. Ce sont autant de manières de résister aux conventions narratives et d’essayer d’approcher un autre type de vérité : ne pas se cantonner aux faits, mais montrer les émotions, le sens qu’ils ont engendré. »

