La convention internationale sur le travail domestique entre en application jeudi 5 septembre. Le texte doit protèger les droits de 100 millions de travailleurs domestiques à travers le monde. Mais, du Moyen-Orient aux États-Unis, plusieurs pays rechignent à l’appliquer.
La convention internationale sur le travail domestique entre officiellement en application jeudi 5 septembre. Ce texte contraignant adopté en juin 2011 sous l’égide de l’Organisation internationale du travail (OIT) a pour le moment été ratifié par 9 pays. Il leur revient désormais de faire en sorte que leurs législations respectent les droits actés par la convention, qui assure aux travailleurs domestiques des conditions de travail décentes.
Les défenseurs de la Convention soulignent qu’elle ne se contente pas de graver des droits dans les textes. Elle joue un grand rôle pour la reconnaissance, officielle et sociale, des employé-e-s de maison. « La victoire de la convention de l’OIT a été un formidable pas en avant dans notre combat pour que le travail domestique soit reconnu comme un travail comme un autre », souligne Jill Shenker, de la National Domestic Workers Alliance (NDWA), une organisation états-unienne.
« A l’heure où la convention entre en vigueur, deux choix se présentent aux législateurs : ils peuvent rester ancrés dans le passé, où les travailleurs domestiques étaient considérés comme des serviteurs, des esclaves, et leur travail méprisé. Ou ils peuvent contribuer au progrès, en reconnaissant que ce travail doit être respecté et protégé », poursuit-elle.
Selon les estimations officielles, le monde compte environ 53 millions de travailleurs domestiques. Mais l’OIT rapporte les estimations de plusieurs experts, pour qui ce nombre atteint 100 millions de personnes – plus de 8 sur 10 étant des femmes ou des filles.
Cela constitue pas moins de 3,6% du nombre global de travailleurs dans le monde, et jusqu’à 12% dans les pays en développement. Mais ils ont souvent, jusque là, été exclus des garanties du droit du travail. « Les travailleuses domestiques comptent parmi les employées les plus maltraitées et exploitées du monde », assène Gauri van Gulik, chercheuse au sein de la division Droits des femmes pour l’ONG Human Rights Watch.
Un long processus
« Dès 1965, l’OIT a mis ce sujet en avant, en déplorant le manque de règles internationales pour protéger les travailleurs domestiques. Mais l’inaction a prévalu, en grande partie parce que ces travailleurs ne sont pas organisés pour défendre leurs droits », souligne Jo Becker, expert en droits des enfants pour Human Rights Watch.
« Dans la mesure où ils sont employés dans le secteur informel, considérés comme difficilement mobilisables, ils ont été exclus des syndicats, qui ont un grand pouvoir au sein de l’OIT. Et donc, durant de nombreuses années, personne n’a vraiment fait attention à eux ».
La situation a commencé à évoluer il y a 20 ans, note Jo Becker, quand des réseaux ont commencé à se former, notamment en Amérique Latine mais aussi en Tanzanie, en Afrique du Sud et aux Philippines.
Le principe d’une convention internationale s’est dégagé vers 2006, et le texte final adopté en 2011 est globalement salué par les défenseurs des droits des travailleurs. Les États l’ayant ratifié devront s’assurer que les travailleurs domestiques aient les mêmes droits que les autres travailleurs (notamment des contrats de travail explicites), protéger les migrants, et combattre le travail des enfants.
La convention appelle à un contrôle tout particulier des agences de recrutement – une des principales voies d’embauche des travailleurs domestiques migrants. Les États doivent également instituer des mécanismes juridiques pour répondre aux plaintes.
« Certains travailleurs domestiques ne sont payés que le dixième du salaire minimum », souligne Jo Becker. « Mais l’imposition de législations plus strictes a déjà prouvé son intérêt. L’Afrique du Sud, par exemple, a introduit en 2002 un salaire minimum pour les travailleurs domestiques. Cela a conduit davantage de personnes à vouloir faire ce travail, et le taux de pauvreté a baissé ».
Le point noir du Moyen-Orient
A ce jour, seuls 9 pays ont ratifié la Convention : l’Allemagne, la Bolivie, l’Italie, Maurice, le Nicaragua, le Paraguay, les Philippines, l’Afrique du Sud et l’Uruguay. Mais de nombreux autres ont lancé le processus. Et, c’est important, il s’agit de pays très divers, un peu partout dans le monde, et autant des pays riches que des économies en développement.
Sans compter qu’en marge de la convention, de nombreux pays ont lancé des réformes législatives en lien avec les préconisations du texte. Au printemps, par exemple, le Brésil a amendé sa constitution (Voir : L’égalité des droits pour les domestiques au Brésil) ; les Philippines et l’Argentine ont également amendé leur législation en profondeur.
« Bien sûr, il reste des pays particulièrement concernés que nous aimerions voir ratifier la convention. En Indonésie, par exemple, les travailleurs domestiques et migrants sont très nombreux », note Jo Becker.
« Mais les pays les plus récalcitrants se trouvent au Moyen-Orient. Les abus contre les travailleurs domestiques migrants dans cette région sont nombreux, mais aucun pays du Moyen-Orient n’a ratifié l’accord. C’est le gros point noir à ce jour. »
Washington pas pressé
Le Royaume-Uni et les États-Unis font aussi figure d’exceptions notables, même si tous deux n’ont pas eu la même attitude lors des négociations. Le Royaume-Uni a toujours fait part de son opposition et n’entend pas ratifier la convention, alors que les États-Unis ont joué un rôle clé dans son adoption.
Pour autant, la signature de traités internationaux reste un point de blocage habituel à Washington. Bien que le ministère du Travail ait indiqué à IPS que le gouvernement « soutien fermement » l’adoption de la convention, l’administration n’a toujours pas fait le moindre geste en faveur de sa ratification.
« En 2012, nous avons soumis [la convention] au Congrès et aux gouverneurs des États, pour information et action, comme cela est prévu par l’article 19 de la constitution de l’OIT », a indiqué le ministère du Travail. « Déterminer si la ratification d’une convention est appropriée nécessite un examen rigoureux afin qu’elle soit parfaitement en accord avec les législations d’États et fédérales. Cet examen n’a toujours pas été lancé. »
Malgré la puissance historique des mouvements syndicaux aux États-Unis, les travailleurs domestiques ont été exclus pendant des décennies de la plupart des lois fédérales de protection des travailleurs, que ce soit sur les salaires, les conditions de travail, la couverture santé ou le droit de se syndiquer.
« Beaucoup aux États-Unis estiment que les standards édictés par la convention de l’OIT n’ont pas à s’appliquer dans le pays, dans la mesure où nous disposons déjà d’un droit du travail fort par rapport à d’autres pays. Mais les travailleurs domestiques, précisément, ne bénéficient pas des mêmes protections de base que les autres travailleurs », souligne Jill Shenker.
© 2013 IPS/Inter Press Service
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