La légalisation de la prostitution est une nouvelle fois dénoncée en Allemagne et l’Europe adopte un rapport préconisant d’appliquer le « modèle nordique ».
« Il viendra un temps où, en Allemagne, nous aurons honte de ce que nous avons fait à ces jeunes femmes de l’Europe de l’Est… C’est l’esclavage de notre époque » déclare Leni Breymaier, parlementaire SPD (travailliste), dans le quotidien de référence allemand Der Spiegel.
Ce journal vient de sortir une nouvelle enquête accablante, dix ans après une première, analysant les conséquences de la légalisation de la prostitution, effective depuis 2002 en Allemagne.
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Cette enquête révèle que l’industrie de la prostitution est basée dans ce pays (comme ailleurs), sur la pauvreté, la détresse, la traite d’êtres humains et la violence. Sur les 250.000 personnes prostituées estimées dans les « maisons closes », seules 23.700 sont déclarées. Les autres n’ont rien de ce qui ressemble à un statut de salarié : ni bulletin de salaire, ni assurance maladie, ni sécurité sociale.
Il n’y a pas si longtemps, lorsque l’Ukraine a été attaquée par la Russie, les proxénètes allaient sur la frontière faire leur marché parmi les femmes désespérées qui fuyaient leur pays.
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La loi légalisant ces « maisons closes » était censée protéger les femmes et offrir de meilleures « conditions de travail ». C’est le contraire qui s’est produit. L’article du Spiegel s’ouvre sur l’histoire de « Lena », 20 ans, victime d’un proxénète « loverboy », un trafiquant qui fait croire à une relation amoureuse avant de contraindre sa proie à se prostituer en passant par les étapes viol, drogue, menace de crime sur des proches. La crainte de représailles empêchant les personnes prostituées de force de s’enfuir. Un cas parmi tant d’autres… Le Spiegel parle aussi de ces hommes qui « paient littéralement pour violer, sans être inquiétés ». Le journal évoque le climat de violence qui s’exerce dans ce milieu avec des hommes qui commentent les « prestations » de façon très visible sur Internet disant par exemple d’une femme « vous pouvez la battre et l’étrangler sans problème ».
Ce qui semble toutefois un peu rassurant est que les responsables politiques à l’origine de cette loi n’ont pas pu être joints par le journal pour la défendre. Un élu vert, favorable à la loi à ses débuts, a même concédé que la prostitution forcée était majoritaire dans les maisons closes en Allemagne.
Une étude sur la violence dans le commerce du sexe en Allemagne montre que 41% des personnes prostituées ont subi des blessures (fractures, blessures au visage, brûlures, articulations disloquées, etc.) Un quart d’entre elles se sont déclarées suicidaires. Les proxénètes qui exploitaient les femmes de la méga-chaîne de maisons closes « Paradise » ont battu leurs victimes avec une telle brutalité que le sang a éclaboussé les murs raconte l’article. Certains ont pu être punis mais Il a fallu des années pour qu’ils soient traduits en justice. « Nous manquons de personnel pour mener des enquêtes approfondies comme nous l’avons fait avec la maison close Paradise. 3 femmes sur 4 sont forcées. Nous devons réduire la demande et criminaliser les acheteurs de sexe » explique Peter Holzwarth, enquêteur criminel.
Le Zur Starseite, cite un nouveau rapport de l’Institut allemand d’analyse appliquée de la criminalité (DIAKA) à Schwabing concluant que « Les lois allemandes sur la prostitution aident les trafiquants d’êtres humains et encouragent le crime organisé». Les auteurs, les professeurs Elke Mack, Ulrich Rommelfanger et Jakob Drobnik, observent que l’objectif de la législation allemande, à savoir l’amélioration des conditions de vie sociales et juridiques des personnes prostituées a été « clairement manqué ». Les lois auraient entraîné une augmentation de la traite des êtres humains et du crime organisé en Allemagne. Au lieu de protéger les victimes, elles auraient renforcé « la position des exploitants de maisons closes, de l’industrie du sexe et des clients ». Le rapport décrit également l’état de santé sordide de ces femmes déshumanisées sur lesquelles des hommes aiment uriner : des MST, des cheveux arrachés, des problèmes de mâchoires détériorées par le « sexe oral » entre autre. Ces chercheurs se prononcent en faveur du modèle nordique, qui dépénalise les personnes prostituées et punit l’achat de sexe.
L’Europe prône le « modèle nordique »
Et justement, la commission des droits des femmes et de l’égalité des genres (FEMM) du Parlement européen a adopté, le 27 juin, un rapport élaboré par l’eurodéputée S&D Maria Noichl portant sur la réglementation de la prostitution au sein de l’UE. Ce rapport déclare que la prostitution, son exploitation, et le trafic d’êtres humains aux fins de leur exploitation sexuelle sont des formes de violence fondée sur le genre, et donc une violation des droits des femmes et de la dignité humaine, et constituent un problème transfrontalier.
« La prostitution est une exploitation et une école d’inégalité pour les femmes. » a déclaré l’eurodéputée Lina Gálvez Muñoz, « un rapport de ma collègue MariaNoich appelle à la protection des femmes et des filles contre cette forme de violence, indépendamment de l’âge, de la race ou du statut social. »
Le rapport appelle à la mise en place d’une approche à l’échelle de l’Europe pour résoudre la question de la prostitution en décriminalisant les personnes qui sont dans la prostitution et en soutenant celles qui veulent en sortir, tout en s’attaquant aux acheteurs de sexe et aux tiers qui profitent de l’exploitation.
Le rapport note qu’il existe une minorité qui affirme se livrer à la prostitution de son plein gré. Mais la plupart des femmes qui se prostituent sortiraient de cet environnement s’il existait une alternative réaliste. Ce rapport s’appuie sur le modèle dit « nordique », adopté d’abord par la Suède puis la France, l’Irlande. Mais en France, la loi de 2016 de lutte contre le système prostitutionnel peine à être pleinement appliquée faute de moyens.
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Maria Noichl a déclaré : « Je me réjouis que nous ne nous soyons pas dérobés face à ce sujet controversé, un sujet qui a divisé le mouvement féministe pendant bien trop longtemps, pour le placer sur l’agenda européen. Le système de la prostitution est d’une nature profondément sexiste, raciste, et marginalisante, et reflète les inégalités sociales et économiques au sein de l’UE comme partout dans le monde : environ 70% des personnes qui sont dans la prostitution au sein de l’UE sont des migrantes. Je suis convaincue que le rôle principal des décideurs politiques consiste à garantir la protection des personnes les plus vulnérables de la société et à leur donner une voix ; tout particulièrement aux femmes qui sont dans la prostitution, et qui ont été traditionnellement ignorées, marginalisées, et stigmatisées dans nos sociétés. »
Heléne Fritzon, eurodéputée S&D et vice-présidente chargée de l’égalité des genres, a ajouté : « L’adoption du rapport aujourd’hui est un signal clair, qui exige des solutions européennes pour lutter contre la prostitution ! Le rapport suggère d’adopter une approche européenne basée sur le modèle dit nordique. La décision prise par la Suède d’adopter la loi contre l’achat du sexe reposait sur les questions d’égalité des genres et des droits humains. L’UE doit agir pour faire cesser le trafic des corps féminins sur le marché unique et renforcer son action pour éliminer toutes les formes de violence fondée sur le genre. »
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