Avec le délit de harcèlement psychologique au sein du couple, l’innovation majeure de la loi sur les violences conjugales, débattu au Sénat jusqu’au mercredi 23 juin, est la création d’une « ordonnance de protection ». Le débat, toutefois, n’est pas clos sur les conditions d’applications de ce dispositif. C’est sur ce point que le Collectif des droits des femmes dénonce les principales régressions entre le texte adopté par l’Assemblée nationale et celui débattu au Sénat.
De quoi s’agit-il ?
L’ordonnance de protection est l’outil phare, adopté en 2004, de la politique espagnole de protection des victimes. Dans le droit français, la procédure est inspirée de celle du référé devant le juge aux affaires familiales (JAF), qui n’est que très peu utilisée.
Il s’agit, avant d’engager une procédure judiciaire pénale, de protéger la victime du conjoint violent, en proposant des mesures temporaires pour sa sécurité, en facilitant son logement ou relogement. Le JAF pourra aussi se prononcer sur l’exercice de l’autorité parentale. La mesure doit permettre de « lever les obstacles susceptibles de la contraindre à demeurer dans la situation de violences », explique Guy Geoffroy, l’un des députés à l’origine du texte.
Comment cela fonctionnera-t-il ?
L’ordonnance de protection sera délivrée en urgence par le juge aux affaires familiales. Ses effets durent 4 mois, le temps pour la victime de la victime de décider des suites qu’elles souhaite donner sur le plan civil ou pénal.
Mais les modalités de la prise de décision ont quelque peu changé entre le texte adopté par les députés et celui issu du Sénat.
Dans le texte de l’Assemblée, le JAF peut être saisi par la victime, si besoin assistée d’un avocat, par le ministère public ou par une association. Mais en commission le Sénat a supprimé la possibilité de saisine par une association. Ce que conteste vivement le Collectif national pour les droits des femmes. Cette décision était aussi celle du gouvernement, au nom, selon la ministre Nadine Morano, de « l’exigence d’un procès équitable telle que formulée dans la convention européenne des droits de l’homme. »
Le Collectif dénonce également un recul sur les conditions des auditions devant le JAF : le texte de l’Assemblée spécifiait que les auditions de la victime et de son conjoint se tiennent automatiquement séparément. Le texte du Sénat indique que les audition des deux parties « peuvent avoir lieu séparément ». « Mauvaise pioche quand on connait le phénomène d’emprise », commente le Collectif. Pour le sénateur rapporteur du texte, François Pillet, l’audition commune « peut apprendre beaucoup au juge, et renforce le caractère contradictoire de la procédure. »
Troisième changement entre l’Assemblée et le Sénat : « L’ordonnance de protection atteste des violences subies par la partie demanderesse », disait le texte des députés. Au Sénat la formulation devient bien plus complexe : « L’ordonnance de protection est délivrée par le JAF, s’il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner la commission des faits de violences allégués et le danger auquel la victime est exposée. » Commentaire du Collectif pour les droits des femmes : « Tout cela est soigneusement soupçonneux quant aux dires de la victime. ». La commission des lois du Sénat se défend sur le terrain juridique : « L’ordonnance de protection n’est qu’une mesure provisoire adoptée au terme d’une instruction très réduite. Elle ne constitue pas un élément de preuve. »
Reste que, comme pour le délit de harcèlement psychologique, l’attente des parlementaires et des associations est que cette mesure ait aussi un effet d’entraînement : l’ordonnance de protection doit aider à libérer la parole. « Si 90% des victimes n’osent pas porter plainte, c’est parce qu’elles craignent les conséquences possibles de cette démarche », juge Françoise Laborde, de la délégation au droit des femmes. L’ordonnance de protection est là pour répondre à ces craintes.
A noter qu’elle ne prendra pas forcément effet tout de suite après la promulgation de la loi. Le gouvernement n’envisage pas une entrée en vigueur avant le 1er octobre 2010, le temps de modifier en conséquence le code de procédure civile.
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