Les hommes apparaissent plus enclins à s’en remettre au marché ; les femmes plus attachées au rôle de l’État, indique une étude sur les économistes nord-américains.
N’allons pas imaginer qu’en matière d’économie « les femmes viennent de Keynes et les hommes de Friedman ». Mais les vues des économistes « peuvent différer sur d’importantes questions de politique économique ». Tout particulièrement sur le niveau d’intervention de l’Etat. C’est ce qui ressort d’une étude réalisée aux États-Unis auprès de 78 hommes et 65 femmes membres de l’American Economic Association (1).
Avis opposés
« Dans l’ensemble, nous [les économistes] sommes pro-marché », commente pour USA Today Ann Mari May, co-auteure de l’étude et économiste à l’Université du Nebraska. « Mais nous, les femmes, avons plus tendance que nos collègues masculins à accepter les régulations de l’État et son intervention dans l’activité économique ». Quelques exemples :
L’État intervient-il trop dans la régulation de l’économie ? Les femmes pensent que non, par 20 points de plus que les hommes.
Par 41 points de plus, elles sont favorables à des taux d’imposition plus progressifs, et par 31 points à une distribution des revenus plus égalitaire.
Et quand on aborde des sujets qui les concernent directement, les avis peuvent même être radicalement opposés : 76% des femmes jugent que les processus de déroulement de carrière avantagent les hommes. Et eux estiment à 80% que les femmes sont avantagées, ou que le processus est neutre.
« Si des différences démographiques, telles que le sexe, façonnent nos vues sur les questions liées aux politiques économiques, il est important d’inclure des femmes dans les conseils d’administration et dans tous les cercles de prises de décision, à tous les niveaux », souligne Mary McGarvey, autre co-auteure de l’étude.
Profession masculine
Mais cela ne signifie pas qu’il existe des différences fondamentales entre hommes et femmes dans la manière de penser l’économie. Pour le libéral Dean Baker, co-fondateur du Center for Economic Policy and Research, l’explication est surtout sociologique. Ce sont des hommes qui depuis toujours dominent la profession, pensant en quelque sorte en circuit fermé, s’alimentant les uns les autres. En tant qu’outsiders, les femmes « sont plus susceptibles de penser de façon plus indépendante, ou au moins de s’ouvrir aux idées de personnes en dehors de la profession ».
Il y a peu, l’économiste homme et hétérodoxe Jean Gadrey le formulait autrement sur Les Nouvelles NEWS : ce sont les hommes qui, depuis toujours, énoncent les « dogmes » de l’économie : le message du libéralisme et la priorité à la croissance du PIB.
Sur le NewStatesman, Martha Gill avance une autre explication : « les femmes se prononcent plus largement en faveur de politiques qui corrigent les discriminations. En tant que groupe discriminé, ce n’est pas une surprise. »
Féminisation ?
Reste que le déséquilibre s’amoindrit, estime USA Today. Un tiers des diplômées en économie sont aujourd’hui des femmes. Par trois fois récemment (deux sous la présidence de Bill Clinton, une sous Barack Obama) le poste de conseiller économique de la Maison-Blanche a été occupé par une femme. Cela n’avait jamais été le cas auparavant. Et c’est encore une femme qui est pressentie pour prendre la tête de la Federal Reserve.
Pour la France Jean Gadrey se montre moins optimiste : « parmi les professeurs universitaires d’économie, on comptait 10 % de femmes dans la deuxième moitié des années 1990. En 2010, on atteint 16 %. À ce rythme (+ 0,5 point par an), la parité professorale est en vue… dans 70 ans. »
Lire aussi sur Les Nouvelles NEWS :
Quand le genre influe sur les politiques publiques
Economie, déconnomie, science d’hommes?
Image : Couverture du Hors-Série des Nouvelles NEWS
(1) L’étude n’est pas encore en ligne, et certaines informations sur les chiffres sont contradictoires. Selon le communiqué de presse publié par l’Université du Nebraska, l’étude a été menée auprès de « plusieurs centaines » d’économistes. Des articles de presse évoquent le nombre de 400. Un autre celui que nous avons repris, le plus précis (et le plus faible aussi). De même, les nombreux exemples de pourcentages des différences entre hommes et femmes divergent selon les articles. Nous n’avons repris que ceux présents dans le communiqué de presse.