« Corvée de sexe », « La chair est triste hélas », « Désirer la violence »…De plus en plus de voix mettent à nu l’hétérosexualité, souvent synonyme de soumission des femmes. Et le sujet est présent dans les grands médias. Est-ce l’amorce d’une évolution ?

Dans un conte d’Andersen « Le roi est nu ! » Le roi croit porter un habit magnifique et ses courtisans l’en félicitent … jusqu’au moment où la vérité éclate, dite par un enfant. Aujourd’hui, c’est l’hétérosexualité que l’on semble découvrir nue !
Dans des livres ou sur des scènes de théâtre, de moins en moins confidentiels, apparaît une violence silencieuse : des femmes qui se forcent à offrir leur corps pour avoir la paix, s’épuisent et se font souffrir pour assurer leur « baisabilité », croient désirer des « bad boys », disent oui quand elles pensent non, sourient quand elles ont mal… Les illusions sur une sexualité entre femmes et hommes, qui ne serait faite que de désir mutuel, de plaisir partagé ou de romantisme, tombent. Une domination masculine, longtemps pensée comme normale et désirée par les femmes est montrée sans prendre de gants, sans fioriture, avec brutalité même parfois. Renvoyant ainsi en miroir la violence subie par les femmes.
Pourquoi les femmes se forcent encore ?
Dans Corvée de sexe. Pourquoi les femmes se forcent encore ? (Albin Michel), la sexologue Maylis Castet compile et analyse des témoignages de femmes de tous âges et tous milieux qui consultent parce qu’elles se pensent insuffisantes pour leur compagnon ou parce qu’elles souffrent de douleurs vaginales. La sexologue reprend des récits de femmes qui, soir après soir, « remettent le couvert » sans envie, « au rythme des pulsions de leur compagnon ». Elles se sentent investies d’une sorte de « devoir émotionnel » : « Si je refuse, il va mal le prendre.» Elles sont persuadées que « les hommes sont ontologiquement des machines à ken et que ça serait bien plus simple si les femmes se comportaient comme des vaginettes à triple embouchure. » Maylis Castet reprend une statistique effrayante : « 57% des femmes âgées de 18 à 49 ans déclarent qu’il leur arrive de faire l’amour sans en avoir envie » . Des femmes qui ont, selon elle, « intériorisé qu’il était plus coûteux ou plus risqué de dire non que de dire oui ». Elles ont « la tête pleine de représentations sexistes » dit-elle sur Kombini.
En grève !
Sur la scène du théâtre de l’Atelier à Paris, Anna Mougladis interprète La chair est triste hélas, de et mis en scène par Ovidie, qui avait publié ce livre en 2023 (Julliard) annonçant qu’elle était en grève du sexe avec les hommes. Un renoncement assumé, politique, face à une hétérosexualité qu’elle juge « irrémédiablement biaisée ». Son monologue sur le désir, la domination et l’épuisement féminin réveille la conscience d’une aliénation collective. Pourquoi cette grève ? «J ’ai repensé à ces innombrables rapports auxquels je m’étais forcée par politesse, pour ne pas froisser les egos fragiles. A toutes les fois où mon plaisir était optionnel, où je n’avais pas joui. A tous ces coïts où j’avais eu mal avant, pendant, après. Aux préparatifs douloureux à coups d’épilateur, aux pénétrations à rallonge, aux positions inconfortables, aux cystites du lendemain. À tous ces sacrifices pour rester cotée à l’argus sur le grand marché de la baisabilité. À toute cette mascarade destinée à attirer le chaland ou à maintenir le désir après des années de vie commune. A cette servitude volontaire à laquelle se soumettent les femmes hétérosexuelles, pour si peu de plaisir en retour, sans doute par peur d’être abandonnées, une fois fripées comme ces vieilles filles qu’on regarde avec pitié. Un jour, j’ai arrêté le sexe avec les hommes.»
Éduquées pour désirer la violence
Dans Désirer la violence (Les Insolentes, la journaliste Chloé Thibaud « met à nu les dynamiques toxiques qui s’étalent sur nos écrans. » Elle démystifie la Pop culture et montre comment la fiction influence insidieusement nos croyances, nos désirs, nos relations amoureuses, nos comportements. Comment la violence, façonnée par des décennies de récits romantiques et de pop culture toxique, s’est ancrée au cœur du désir féminin. Comment les femmes apprennent à préférer les « bad boys » aux gentils et ignorent que certaines scènes, présentées comme romantiques, sont des viols.
Renégocier le contrat social
Sur d’autres scènes, des actrices font entendre ce discours de mise à nu du patriarcat qui n’est pas nouveau mais, jusqu’ici, peu pris en considération dans les médias et chez les dirigeants politiques.
Adèle Haenel assure la direction et la mise en scène de la pièce Voir clair avec Monique Wittig qui reprend le recueil culte La pensée straight de cette grande figure du Mouvement de libération des femmes (MLF). Dans cet ouvrage publié en 1992, Monique Wittig appelle à combattre le contrat social hétérosexuel, qui instaure une hiérarchie des sexe au bénéfice des hommes et appelle les femmes à « renégocier quotidiennement, terme à terme, le contrat social. »
SCUM Manifesto, bréviaire antipatriarcal écrit par Valerie Solanas en 1967, a été joué Au Théâtre national de Strasbourg. Et l’adaptation au théâtre par Vanessa Larré de King Kong Théorie écrit par Virginie Despentes en 2006 revient à Paris en novembre. La metteuse en scène promet une interprétation plus radicale que lors de la première édition.
Cette dénonciation de l’hétérosexualité patriarcale ne date pas d’aujourd’hui. Même les hommes l’ont faite comme Georges Brassens qui chantait « Quatre-vingt-quinze fois sur cent, La femme s’emmerde en baisant… » en 1972.
Changer les mœurs
Tout celà n’empêche pas le contrat social patriarcal de perdurer. Voire de s’amplifier si l’on en croit de récentes études (voir plus bas). Grâce à Internet, qui a permis au féminisme de s’exprimer plus largement, #Metoo a pu exister et les grands médias ont évolué.
Aujourd’hui, ces médias relaient les œuvres de ces autrices. Pas tous les médias… Les journaux plutôt progressistes d’abord bien sûr. Certains se montrent franchement enthousiastes. D’autres écrivent leurs critiques avec un petit doigt en l’air, instillant parfois un peu de #NotAllMen, histoire de dépolitiser le sujet. Dans Le Monde par exemple, une critique de La chair est triste se livre à un exercice assez habituel pour parler de féminisme. L’autrice de la critique souscrit à l’analyse des contraintes vécues par les femmes… mais elle estime que le récit d’Ovidie « stérilise pourtant tout débat constructif, en acculant le public à une guerre de tranchées »… Suggérer que les féministes veulent la guerre des sexes quand elles tentent de s’opposer aux violences patriarcales -à une guerre menée par les hommes !- est un grand classique antiféministe.
Et l’antiféminisme se lit surtout dans les commentaires qui suivent les articles de journaux ou sur les réseaux sociaux évoquant ces récits féministes. Il faudra encore bien des œuvres pour changer les mœurs.
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1 Commentaire
Cet article est passionnant ! D’ailleurs un autre film sur le sujet arrive bientôt : « la grève » de Gabrielle Stemmer, d’après le texte de La chair est triste, sur des images d’archives. Gabrielle Stemmer avait réalisé « Clean With Me » à partir de vidéos youtube d’Américaines qui passaient leur temps à nettoyer leurs maison, c’était son film de fin d’études Femis, génial.