Alors que Bruno Retailleau prévoit de faire des économies sur l’Aide médicale d’État, plusieurs associations lancent l’alerte : si les revenus du conjoint sont pris en compte dans le calcul de l’éligibilité à l’AME, cela aggraverait la situation des femmes étrangères, déjà victimes de nombreuses formes de violences.

« Des centaines de milliers de femmes en France pourraient être obligées de demander l’autorisation de leur conjoint pour se soigner », interpelle l’ONG Women for Women France après les déclarations du gouvernement qui prévoit de durcir l’accès à l’Aide médicale d’État (AME).
192 000 femmes bénéficient de l’AME
L’AME permet de solliciter des soins médicaux et hospitaliers et de bénéficier d’une prise en charge financière totale. Pour y avoir accès, cela dépend des revenus individuels, qui doivent être inférieurs à 847 euros par mois pour une personne seule en France hexagonale. À la fin d’année 2023, 439.006 personnes étrangères en situation précaire étaient concernées, dont 192 000 femmes. Parmi elles, des femmes sans titre de séjour, vivant avec un assuré social (Français ou étranger en situation régulière).
Si précieuse, l’AME risque pourtant d’être prochainement limitée. C’est ce que préconise un nouveau rapport sénatorial, publié le 9 juillet et porté par le Sénateur de l’Essone Vincent Delahaye. C’est notamment la recommandation n°5 du texte qui inquiète puisqu’elle recommande de « prendre en compte les revenus du conjoint » dans le calcul de l’éligibilité à l’AME.
Après l’annonce de François Bayrou du plan d’économies pour 2026, qui a pour objectif d’économiser 43,8 milliards d’euros, Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, a réitéré sa volonté de limiter l’accès à l’AME. Le 16 juillet, présent à Lognes, en Seine-et-Marne, le ministre a estimé qu’il fallait « arrêter de vivre au-dessus de nos moyens ». Sa solution : réduire l’accès à certaines prestations, dont l’AME. Il a ajouté : « Ce budget doit être juste, et cela, il doit concerner ceux qui cotisent, mais à plus forte raison ceux qui ne cotisent pas, et à encore plus forte raison ceux qui viennent clandestinement sur notre sol ». Cette offensive à l’encontre de l’AME n’est pas nouvelle. En octobre 2024, Laurent Saint-Martin, alors ministre des Comptes publics dans le gouvernement de Michel Barnier, avait annoncé un possible durcissement de l’accès à l’AME et prévoyait déjà la prise en compte des revenus du conjoint pour le calcul de l’éligibilité à l’AME.
Un risque accru de violences administratives
En pratique, la cinquième mesure préconisée par le rapport Delahaye revient à faire des économies sur la santé et la sécurité des femmes. Selon Women for Women France, « cette mesure contraindra des centaines de milliers de femmes en France à obtenir l’autorisation de leur conjoint pour se soigner et forcera des dizaines de milliers de victimes de violences conjugales, de proxénétisme ou de traite des êtres humains à demander l’autorisation de leur agresseur pour accéder à des soins post-violences », détaille un communiqué publié le 21 juillet 2025.
Déjà lors des annonces de Laurent Saint-Martin, en octobre 2024, un collectif d’associations, dont La Cimade, le Planning familial, Women for Women France ou encore Médecins du monde France, dénonçait, dans une tribune, une « vision patriarcale de la famille [qui] priverait un certain nombre de femmes migrantes de leur accès aux soins ».
Women for Women France réitère son opposition : « Les femmes exilées présentent des risques accrus de précarité économique et sociale, auxquels s’ajoutent la précarité administrative, du fait de la dépendance du droit au séjour à la situation familiale ou conjugale ». Selon l’ONG, près de 85 000 femmes sont en situation irrégulière du fait de violences, notamment administratives, au sein de leur couple. « La violence administrative, méconnue mais massive, est une tactique dont l’objectif est de maintenir la victime dans une situation administrative irrégulière et/ou de dépendance », précise le communiqué. Rétention ou destruction de documents, refus d’accompagnement ou de justificatifs, interdiction d’apprendre le français, contrôle des démarches numériques (ANEF, Ameli, CAF…), chantage au titre de séjour ou menaces de dénonciation… le spectre des violences administratives est large. « Pourtant largement documentée, cette violence n’est pas reconnue par le Code pénal français et reste incomprise des décideurs politiques, déplore Alexandra Lachowsky, Responsable de plaidoyer chez Women for Women France, avant d’ajouter : Si ce n’est pas dans le Code pénal, nous disons qu’il est légal en France de perpétrer l’une des formes les plus dévastatrices de violence conjugale ».
Victimes de violences conjugales, de proxénétisme ou de traite d’être humains, les femmes étrangères cumulent les situations de précarité. « La prise en compte des revenus du conjoint dans l’accès à l’AME ne ferait que renforcer ce phénomène, et exposerait encore davantage ces femmes aux tactiques de contrôle coercitif et aux violences », insiste Women for Women France. Alexandra Lachowsky rappelle que « « les structures médicales sont souvent au début du parcours de mise en sécurité et de justice ». D’où la nécessité de préserver un accès à l’AME aux femmes étrangères précaires.
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