Loin d’être une communication « disruptive » ou un simple écran de fumée, l’affaire Playboy amplifie le backlash et contrevient à la convention d’Istanbul. Le travail de Sisyphe de lutte contre les stéréotypes s’alourdit.

Grâce à l’interview que lui a accordée Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Economie sociale et solidaire et de la vie associative, le magazine misogyne Playboy, que beaucoup croyaient disparu, va faire exploser ses ventes. En un premier temps, nous ne voulions pas en parler dans LesNouvellesNews.fr. Nous ne sommes pas adeptes du « prêt-à-penser » journalistique. Notre propos est plutôt d’éclairer des actualités et des angles d’actualités négligés par le « mâle-traitement » habituel de l’information chez nos confrères.
Mais quand le directeur de Playboy se vante de faire un « buzz mondial », cela signifie que Marlène Schiappa -qui a pourtant été salariée des Nouvelles News en 2015 – alimente aujourd’hui un discours sexiste assourdissant. Tandis que le féminisme a toujours du mal à se faire entendre sans être dévoyé. Alors il faut réexpliquer quelques notions. Et continuer le travail de Sisyphe de lutte contre les stéréotypes sexistes.
Cette Interview de Marlène Schiappa accordée à un journal misogyne s’inscrit dans un brouhaha médiatique masculiniste : Frederic Beigbeder, qui fut patron du magazine Lui, sort un nouveau livre entonnant la complainte du dominant incompris, une floppée d’hommes privilégiés lui emboîte le pas dans le Figaro. Ils imposent des discours victimaires sur ce qui devrait être qualifié de domination masculine. Récemment nous avons débunké un article du Figaro hautement manipulateur.
Lire : Complainte acrobatique d’hommes victimes d’inégalités
Marlène Schiappa explique qu’elle veut faire une communication « disruptive ». Mais où est la rupture ?
D’abord cet événement s’inscrit dans une grossière stratégie de feu / contrefeu du gouvernement… rien de bien nouveau. L’écran de fumée Playboy a rendu invisible la polémique consécutive à une enquête conjointe de l’hebdomadaire Marianne et de France 2 révélant l’opacité de la gestion du fonds Marianne, un fonds contre le séparatisme créé par la ministre après l’assassinat de Samuel Paty en avril 2021. Certaines associations auraient reçu des sommes conséquentes pour ne quasiment rien faire. Le temps médiatique consacré à cette affaire est infime et sans rapport avec celui consacré à la Une de Playboy.
Ensuite, faire la Une d’un journal misogyne en adoptant des postures sexy n’a rien de disruptif. Au contraire, la démarche épaissit le rideau de fumée sur les violences sexuelles.
Rappelons, comme l’a fait Isabelle Lonvis-Rome, la ministre en charge des Droits des femmes (dans Le Figaro !), que le fondateur de Playboy, Hugh Hefner, a été poursuivi pour agression sexuelle. Dans son « manoir Playboy », il organisait des viols et viols en réunion, les victimes étaient souvent des mineures, il les alcoolisait et les droguait. Ce scandale a été raconté notamment dans une série documentaire américaine, Secrets of Playboy, diffusée en 2022 sur Canal+. En 2012, Hugh Hefner affirmait dans le New York Daily News que : « Les femmes sont des objets sexuels. »
L’Obs, rappelle que la journaliste et féministe Gloria Steinem avait infiltré la « secte Hefner » en 1963 pour le Show Magazine et raconté les atrocités commises par celui qui se disait glamour. Pour elle « Une femme qui lit ‘Playboy’ se sent comme un juif qui lit un manuel nazi ». Même réflexion chez Isabelle Lonvis-Rome : « À mes yeux, défendre les droits des femmes dans ‘Playboy’ reviendrait à lutter contre l’antisémitisme en accordant un entretien à ‘Rivarol’. »
L’essence même d’un tel magazine est la misogynie. L’homme y est sujet désirant, la femme objet de désir. La femme façonne son corps et prend les pauses sexy définies par la quête de plaisir de l’homme. Bien sûr Marlène Schiappa était libre d’accepter ou de refuser ces photos. « Libre de choisir ses chaînes » pour reprendre une célèbre alerte féministe.
La ministre pensait disrupter en tenant un discours féministe dans les colonnes de Playboy. Mais qui peut croire une demi-seconde que les lecteurs de Playboy vont vraiment lire l’interview ? Comprendre le discours féministe ? y adhérer ?… Bien au contraire. Avant même la sortie du journal, un buzz monumental s’est déclenché sur les réseaux sociaux, caricaturant la ministre, falsifiant des photos, évaluant son corps comme un objet. Les lecteurs de Playboy et la majorité des commentateurs ne s’interrogent pas sur l’aspect féministe de la démarche mais sur le niveau de baisabilité de la ministre. Pourquoi s’exposer à de tels torrents de boue ?
L’événement a aussi été l’occasion d’un déluge de beaufitude sur tous les plateaux télé. Dans l’émission C à vous sur France5, Bertrand Chameroy a repéré un échantillon de propos « beaufs… sous couvert d’édito politique» et c’est très parlant.
Et surtout, fait observer Natacha Henry, essayiste féministe, qui travaille pour le Conseil de l’Europe à l’application de la Convention d’Istanbul pour les Etats candidats à l’entrée en Europe, la démarche de la ministre se heurte à l’article 17 de cette convention ratifiée par la France en 2014.
Cet article, consacré aux médias, dit notamment que les Etats doivent « mettre en place des lignes directrices et des normes d’autorégulation pour prévenir la violence à l’égard des femmes et renforcer le respect de leur dignité »
Les photos d’une membre du gouvernement dans Playboy et les innombrables commentaires qui les accompagnent sur toutes les ondes et dans toutes les gazettes oublient cet article 17.
Une nouvelle fois, la France est très loin d’être exemplaire. En 2019, un rapport européen pointait l’insuffisance de la réponse pénale aux violences sexuelles et sexistes et le manque de moyens au service de la lutte.
Lire : LES LACUNES DE LA FRANCE DANS LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES SEXISTES
Lire aussi : NOTRE RUBRIQUE BRUITS ET CHUCHOTEMENTS