Dans une lettre ouverte adressée au président de la République, la philosophe Dominique Méda a dénoncé l’entre-soi masculin de l’Institut de France. Les cinq Académies comptent très peu de femmes. Et aucun effort sociétal n’est engagé pour y remédier.
« Les femmes dignes de rejoindre l’Académie ne manquent pas » scande Dominique Méda. Dans une lettre ouverte, datant du 30 avril, adressée au Président de la République également protecteur de l’Institut de France, la philosophe s’insurge contre le très faible nombre d’académiciennes.
« Soupçon de phallocratie »
En septembre 2023, Dominique Méda a présenté sa candidature auprès de l’Académie des sciences morales et politiques – l’une des cinq branches de l’Institut de France – pour le fauteuil de la juriste Mireille Delmas-Marty (disparue en 2022). Cette candidature a été encouragée par la doyenne de la section « morale et sociologie », Marianne Bastid-Bruguière, qui lui confiait l’urgence d’introduire de la diversité au sein de l’institution. Mais Dominique Méda affirme dans une interview au Nouvel Obs qu’elle pensait déjà qu’ « une femme classée à gauche ne serait sans doute pas la bienvenue ».
Sa candidature n’est pas retenue et c’est le sociologue Pierre-Michel Menger qui est choisi pour occuper le fauteuil vacant. La raison ? Il occupe une chaire au Collège de France. Impossible de refuser une telle personnalité. Un « soupçon de phallocratie » pousse Dominique Méda à candidater une nouvelle fois. « Une sorte de testing qui visait à prouver le refus d’élire une femme » précise t-elle au Nouvel Obs. De nouveau, l’accès à l’Académie des sciences morales et politiques lui est refusé au profit de candidatures masculines.
Pourquoi la candidature de Dominique Méda – normalienne et énarque, agrégée de philosophie, membre de l’Inspection générale des Affaires sociales, professeure des universités à Paris Dauphine-PSL, directrice du laboratoire de Sciences sociales de cette université pendant dix ans et autrice de très nombreux ouvrages et articles scientifiques – n’a-t-elle pas été acceptée ? « Les membres recrutent ceux qui leur ressemblent et sont proches d’eux, comme s’il s’agissait d’un club privé » déplore la philosophe auprès de Libération, avant de renchérir : « Sauf qu’il ne s’agit pas d’un club. C’est une institution de la République ».
L’entre-soi masculin persiste, sans être inquiété
Dans sa lettre ouverte, la philosophe lève le voile sur le cruel manque de parité dans les rangs des différentes académies qui composent l’Institut de France. Au sein de l’Académie des sciences morales et politiques, celle où postulait Dominique Méda, sur les 50 membres, seulement 4 sont des femmes, soit 8%. L’Académie française compte 6 femmes sur 40. Sur les 55 chaises des inscriptions et des belles lettres, 7 sont occupées par des femmes. 48 sur 281 pour les sciences. Et, enfin, 16 sur 67 aux beaux-arts. « Il n’y a pas de hasard, mais une volonté affirmée par cette Académie de se soustraire à l’effort sociétal pour favoriser une égalité de genre, dont la parité est un des aspects » s’indigne la philosophe dans sa lettre ouverte. Il a fallu attendre 1971 – soit 176 après la création de l’Institut de France – pour qu’une femme, la juriste Suzanne Bastid, soit enfin nommée par l’Académie des sciences morales et politiques. Et depuis, les progrès n’ont pas été fulgurants…
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Les Académies de l’Institut de France sont imperméables à la parité alors même que leurs voisins belges sont pleinement engagés dans cette dynamique. En effet, si Dominique Méda ne rencontre pas une juste reconnaissance en France, elle l’a trouvé à l’Académie royale de Belgique, où elle a été élue il y a plus de dix ans. Depuis 2021, les académiciens et académiciennes belges ont repensé toute l’institution. À l’époque, seulement on ne comptait que 20 % de femmes parmi les membres. Après un vote à l’unanimité, 40 fauteuils ont été créés et réservés à des femmes.
En France, le groupe « monoclore » de l’Académie résiste à la diversité. « La présence des femmes n’est pas simplement une affaire de nombre. Elle est aussi un marqueur assez sûr, et sans doute un facteur, de dynamisme pour l’institution » précise Dominique Méda, qui déplore une « résistance de la phallocratie ».
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Des réactions ?
Hormis les militantes féministes, les réactions aux déclarations de Dominique Méda sont rares. Quasi inexistantes. La lettre ouverte du 30 avril, adressée à Emmanuel Macron, reste sans réponse.
Toutefois, suite à une sollicitation de Libération, Bruno Cotte, président de l’Académie des sciences morales et politiques, a déclaré : « Nous avons aussi des difficultés à susciter des vocations. De brillants profils féminins n’éprouvent tout simplement pas le besoin de se présenter, ne souhaitent pas être tenus par les travaux de l’Académie ou n’ont aucun goût pour le décorum et le costume. ». C’est le comble ! Les femmes seraient responsables du manque de représentation et de diversité au sein du groupe des académiciens. Alors même qu’elles sont plus diplômées que les hommes depuis plus de vingt ans, comme le martèle Dominique Méda. Il ne faut manifestement pas compter sur lui pour engager l’effort sociétal demandé par Dominique Méda.
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