Interdiction de chanter, de réciter de la poésie et de lire à voix haute en public : en Afghanistan, les talibans veulent museler la parole des femmes. Depuis trois ans, ces fondamentalistes poursuivent l’instauration d’une interprétation stricte de la charia. Afghanes et militantes féministes dénoncent l’inaction de la communauté internationale et protestent courageusement.

Le 15 août 2021, les talibans prennent le pouvoir en Afghanistan, après en avoir été chassé vingt ans auparavant. Depuis maintenant trois ans, les droits et les libertés des femmes s’amenuisent jusqu’à disparaître totalement. Le 21 août dernier, le ministère de la Justice afghan a annoncé la promulgation d’une loi visant la « la prévention du vice et la promotion de la vertu ». L’article 13 de cette loi prévoit d’interdire aux Afghanes le droit de chanter, de réciter de la poésie et de lire à voix haute en public.
Les droits des femmes continuent d’être bafoués en Afghanistan
En trois ans, 1,4 millions de filles ont dû abandonner leurs études passées l’âge de 12 ans selon l’ONU. Depuis le mois d’avril 2023, les femmes n’ont plus le droit de travailler pour les organes des Nations Unies en Afghanistan. Et la nouvelle loi du régime des talibans, composée de 114 pages et 35 articles, finit de limiter la participation des femmes aux différents aspects de la vie sociale, économique et politique.
Il est désormais interdit pour les femmes de se parfumer et de se maquiller. Elles ne sont plus autorisées à regarder les hommes avec lesquels elles ne sont pas liées par le sang ou le mariage. Lors de leurs déplacements, elles doivent systématiquement être accompagnées d’un homme de leur famille. Par ailleurs, elles ont pour obligation de se voiler entièrement le corps en public, en incluant le visage, pour éviter de « tenter » les hommes. Cette contrainte s’applique même devant des hommes et des femmes non musulmans afin d’éviter la « corruption ». La nouvelle loi des talibans s’applique également aux hommes, qui ont interdiction de porter des cravates et des shorts ou encore de se raser, la coupe de la barbe à une longueur inférieure à celle du poing étant jugée « non islamique » par le régime.
Si ces mesures venaient à ne pas être respectées, des avertissements verbaux, des menaces, des amendes et des arrestations d’une durée d’une heure à trois jours, ainsi que d’autres sanctions de la police de la moralité, sont prévues. En cas de récidive, les tribunaux peuvent même être saisis. Malgré ces ordonnances de plus en plus restrictives, de nombreuses manifestations ont été menées pour protester contre le régime. Suite à ces actes de résistance, les arrestations et détentions arbitraires, actes de tortures physiques et psychologiques et disparitions forcées se sont multipliées selon Amnesty International France.
Lors de leur retour au pouvoir en 2021, les talibans cherchaient à montrer un visage plus modéré. Trois ans plus tard, les faits démontrent l’inverse.
La communauté internationale appelée à se mobiliser
Suite à l’annonce de cette nouvelle loi, les réactions de la communauté internationale sont rares ou peu convaincantes selon les membres du Purple Saturdays Movement, principal groupe de défense des droits des femmes en Afghanistan.
En France, Stéphane Séjourné, ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères, a réagi sur X : « La loi « du vice et de la vertu », montre l’acharnement des talibans contre les femmes en Afghanistan. 3 ans après leur prise de pouvoir, ils persistent à bafouer leurs droits. Aucun retour à la normale envisageable sans l’arrêt de ces violations et la levée des restrictions ».
À l’étranger, certaines personnalités politiques s’engagent davantage. Annalena Baerbock, ministre allemande des Affaires Étrangères, s’indigne sur son compte X : « La loi des talibans sur le vice et la vertu vise à réduire au silence la moitié du pays. Elle inscrit dans le marbre des règles qui privent les femmes afghanes de leur dignité, de leurs droits et de leur voix. Elle souligne une fois de plus qu’il ne peut y avoir de relations avec les islamistes radicaux. » Même réaction pour son homologue islandaise Þórdís Kolbrún R. Gylfadóttir. Elle écrit : « Trois ans après avoir fait de la vie des femmes et des jeunes filles en Afghanistan un véritable enfer, les talibans ont publié un nouveau décret, interdisant cette fois aux femmes d’utiliser leur propre voix. C’est un symbole de la façon dont les islamistes radicaux traitent les femmes comme des êtres inférieurs à l’homme. Je le condamne avec la plus grande fermeté. ». Penny Wong, ministre australienne des Affaires Étrangères, adopte, elle aussi, cette position.
De son côté, un communiqué de l’UNAMA (United Nation Assistance Mission in Afghanistan) rappelle que « la résolution 2681 (2023) du Conseil de sécurité appelle les Talibans à revenir rapidement sur les politiques et les pratiques qui restreignent la jouissance par les femmes et les filles de leurs droits humains et de leurs libertés fondamentales. »
La situation en Afghanistan est alarmante et les appels à la communauté internationale à se mobiliser et à faire pression sur les talibans se multiplient. En juillet dernier, la Cour nationale du droit d’asile fait naître une lueur d’espoir en annonçant que les Afghanes sont « un groupe social susceptible d’être protégé comme réfugié ». Cependant, Amnesty International révèle que « les visas permettant de rejoindre la France à partir de l’Iran et du Pakistan, [où elles se réfugient principalement], restent délivrés au compte-goutte et les délais pour obtenir un rendez-vous dans les consulats ne cessent de s’allonger. »
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« l’inaction enhardira les talibans«
Une version ultra-rigoriste de la loi islamique s’étend en Afghanistan. Le Purple Saturdays Movement « appelle la communauté internationale et les Nations unies à prendre des mesures immédiates et décisives à l’encontre du régime taliban », comme le martèle sa fondatrice Maryam Marof Arwin sur X. Elle ajoute : « Le mouvement prévient que l’inaction enhardira les talibans à poursuivre leurs politiques d’oppression, mettant encore plus en danger la vie et les libertés des femmes afghanes. »
*Mise à jour du 29 août 2024
La résistance s’organise. Suite à la promulgation de cette loi, des dizaines d’Afghanes ont décidé de braver l’interdiction et de chanter face caméra. Qu’elles soient en Afghanistan ou à l’étranger, les femmes protestent sur les réseaux sociaux. Leurs messages : « ma voix n’est pas interdite » et « non aux talibans ».
Dans l’une des vidéos, une femme, vêtue de la tête aux pieds d’un long voile noir, chante : « Vous m’avez réduite au silence pour les années à venir. Vous m’avez emprisonnée chez moi pour le seul crime d’être une femme. » Sur d’autres vidéos, on voit des groupes de militantes le poing levé, déchirant des photos Haibatullah Akhundzada, chef suprême des talibans, ou scandant : « La voix d’une femme, c’est la voix de la justice ». Une autre jeune femme, Taiba Sulaimani choisi de chanter à visage découvert : « La voix d’une femme est son identité, pas quelque chose qui devrait être caché. »
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