Comme beaucoup de secteurs professionnels, le sport compte peu de dirigeantes. C’est l’objet du nouvel essai (éd Les Sportives) de la sociologue du sport Béatrice Barbusse, également vice-présidente déléguée de la Fédération Française de Handball. Court mais édifiant, ce texte apporte un éclairage essentiel sur le sexisme persistant aux postes de direction du milieu sportif. Entretien.

Pourquoi la question des dirigeantes dans le sport a-t-elle été peu étudiée jusqu’à présent ?
Béatrice Barbusse – Quand on parle de sport, on pense d’abord à ceux et celles qui le font. Le traitement médiatique du sport en France est essentiellement tourné vers les sportifs et sportives. Les personnes qui rendent possible la pratique du sport et les évènements qui lui sont associés sont rarement sur le devant de la scène. Il existe aussi peu d’études sur les dirigeantes que sur les dirigeants, ce n’est pas tellement une question de sexisme. Mais il est vrai que le sport dit « masculin » est plus souvent étudié par les chercheurs et chercheuses. Heureusement, il y a de plus en plus d’études sur le sport pratiqué par les femmes et la place des femmes dans le sport.
Dans les postes de direction, la norme prétendue neutre est rattachée à des comportements perçus comme masculin. Ce phénomène est-il exacerbé dans le milieu du sport ?
BB – Ces comportements sont-ils exacerbés dans le sport ? Je ne sais pas… mais ils sont systématiques ! Dans le livre, je fais référence à des études qui ont été menées dans le milieu politique ou de l’entreprise. On retrouve les mêmes mécanismes et ce n’est pas exclusif au seul milieu sportif. Les logiques organisationnelles restent les mêmes mais elles s’expriment peut-être davantage de manière virile sur le plan comportemental dans le sport.
Concernant les postes de direction, la question de la légitimité est centrale. Vous expliquez qu’elle est construite autour des normes de la masculinité. Sera-t-il un jour possible pour une femme de se sentir légitime sachant cela ?
BB – J’espère bien ! Il y a d’ailleurs quelques femmes qui se sentent légitimes, comme Brigitte Henriques, qui fut présidente du Comité national olympique et sportif français. Elle a expliqué que son expérience passée lui avait procuré ce sentiment de légitimité. Mais, à choisir, je préfère le syndrome de l’imposteur à un trop plein d’assurance. La remise en question est fondamentale pour progresser. Ressentir une part d’illégitimité oblige à redoubler d’attention afin de s’assurer qu’on a les compétences nécessaires pour occuper un poste. C’est peut-être le sentiment d’hyper-légitimité des hommes qu’il faudrait diminuer.
Dans le livre, vous ne parlez pas uniquement du « plafond de verre », vous mentionnez également un « plancher collant »… Qu’entendez-vous par là ?
BB – C’est la sociologue Catherine Berheide qui a théorisé ce concept pour la première fois. Le « plancher collant » correspond au sentiment de ne pas être suffisamment compétente. Les femmes tendent à s’auto-censurer et n’osent pas postuler à des postes à hautes responsabilités. Il y a quelque chose qui les retient, qui colle aux chaussures et qui leur donne du mal à s’élever. Puis, il y a les « parois de verre » qui empêchent les femmes de se consacrer à autre chose qu’aux activités traditionnellement féminines : le care, l’intégrité, l’éducation… Plus que des parois, ce sont des murs de briques ! Les femmes sont prises dans une cage qui les empêche de monter dans la gouvernance du sport.
Aujourd’hui, certaines femmes accèdent aux postes de direction. Qui sont-elles ?
BB – Plusieurs enquêtes ont été menées sur les origines socio-démographiques des dirigeantes sportives. On observe que ce sont en grande majorité des femmes blanches, diplômées, pourvues en capital social et culturel et issues de catégories socio-professionnelles moyennes et supérieures. L’accès à ces postes ne concerne pas toutes les femmes mais une infime partie, c’est pour cela que je parle d’une « égalité élitiste ».
Par exemple : y-aurait-il eu autant d’ouvrages (livres, BD) et de documentaires sur les sportives, les championnes s’il n’y avait pas #Paris2024 ?
— Béatrice Barbusse (@bbarbusse) April 3, 2024
Non, je ne crois pas. Cela a eu au moins l’avantage d’accélérer le travail mémoriel et de visibilisation des sportives. 🤗 https://t.co/oG2eEqOpG8
Des dispositifs ont été mis en place par les pouvoirs publics et certaines institutions sportives afin d’accélérer le changement. Leur impact est-il visible aujourd’hui ?
BB – La loi « pour l’égalité réelle des femmes et des hommes » déposée par Najat Vallaud-Belkacem en 2014 a déjà permis l’application de quotas. Aujourd’hui, ils sont appliqués par quasiment tout le monde, sauf quelques fédérations qu’on compte sur les doigts d’une main. Puis, depuis le 1er janvier de cette année, la loi sur la parité, portée par l’ancienne ministre des sports Roxana Maracineanu en 2022, est désormais appliquée. Mais qu’il soit nécessaire de mettre des dispositifs législatifs en dit long sur le sexisme dans le milieu sportif. Il n’est pas possible de changer tous les comportements avec des lois.
À l’approche des JO, la question de la parité aux postes de direction a-t-elle gagné en visibilité ?
BB – Je n’ai jamais vu autant d’ouvrages sur les sportives ! Il est certain que cela a permis d’opérer un travail mémoriel et de rendre visible des femmes qui ont été invisibilisées voire oubliées. C’est l’un des effets positifs des Jeux Olympiques et Paralympiques. Cet événement a suscité un véritable intérêt de la part de toutes les institutions. La preuve : depuis le début de la saison 2023-2024, je reçois une à deux invitations par semaine pour aller parler de femmes et de sport. Je n’avais jamais été autant sollicitée. Je crains que le succès ne retombe une fois les JO terminés, j’en suis même quasi sûre… Mais ce laps de temps aura permis à certaines personnes de se poser des questions, notamment sur les inégalités entre les femmes et les hommes dans le milieu sportif. C’est un premier pas !
« Dirigeantes sportives et plafond de verre, une histoire inachevée » de Béatrice Barbusse. Éditions Les Sportives, 64 pages, 6€.
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