L’épais rapport dénonçant les violences « systémiques, endémiques et persistantes » propose une analyse très fouillée du système et des recommandations… Mais oublie la responsabilité des médias qui encensent les agresseurs.
86 recommandations pour enrayer « la machine à broyer les talents », un « système féodal » et les « abus d’autorité » ayant cours dans le monde de la culture. Le rapport de la commission d’enquête » « relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité » présenté ce mercredi 9 mars a tenu bien des promesses. Et sa forte médiatisation en est une.
Un système
Pour décortiquer le système qui a permis, voire normalisé, ces violences, 350 personnalités du cinéma, de l’audiovisuel ou du spectacle vivant ont été questionnées ces six derniers mois sur leurs pratiques. Le rapport avait été initié après l’onde de choc déclenchée par Judith Godrèche, accusant les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon de l’avoir violée lorsqu’elle était mineure.
Dès l’introduction du rapport, la présidente de la commission, la députée écologiste Sandrine Rousseau, écrit : « les violences morales, sexistes et sexuelles dans le monde de la culture sont systémiques, endémiques et persistantes. »
Et au fil des auditions, toujours le même schéma : des femmes le plus souvent, parfois mineures, soumises aux désirs de réalisateurs ou d’acteurs, devant et derrière la caméra. Si elles ne soumettent pas, si elles dénoncent les violences qu’elles subissent, elles peuvent renoncer à faire carrière. Ces hommes sont protégés par leur « talent ». Ils peuvent tout se permettre, c’est une « machine à broyer »
Le « quitus » des médias
« Ce génie créateur a une sorte de quitus pour créer son œuvre, qui serait, pour certains, plus importante que les règles de notre République », a déclaré à l’AFP Erwan Balanant, député MoDem et rapporteur de la commission. Mais, qui donne ce quitus ? Les instances de consécration du génie créateur sont des nébuleuses composées de ceux qui attribuent des prix, de ceux qui financent le cinéma et des critiques et journaux qui les encensent.
Les exemples de récits journalistiques présentant des agresseurs comme de purs génies et banalisant ou ignorant leurs violence, abondent. Nous les citons régulièrement dans Les Nouvelles News, de Polanski à Bertrand Cantat (voir plus bas). Les grands médias ont toujours vu d’un très bon œil des mises en scène et récits de vie de couples de cinéma composés d’hommes d’âge mûr et de filles jeunes et parfois mineures. Et que dire du récent succès médiatique du film « l’amour ouf » qui alimente l’imaginaire patriarcal avec une ode au bad boy et à la good girl ?
Un mea culpa ?
La commission n’a pas interrogé les directeurs de journaux qui ont par exemple fait des unes sur Bertrand Cantat ou pris la défense de Polanski au nom de la séparation homme / artiste. Elle n’a pas vraiment mis en cause les journaux qui criaient au génie devant les films de Benoît Jacquot ou Jacques Doillon et ignoraient ou méprisaient ce qu’ils appelaient des « films de femme ». A quand un grand mea culpa des rubriques culture et des journaux spécialisés ?
Au nom de la liberté d’expression, la violence est banalisée. Mais la lutte contre la violence ne trouve aucun lieu médiatique où s’exprimer librement
Pourquoi le journal Marianne, a-t-il accepté de publier une tribune signée par dix-neuf avocats le 26 mars, pour décrédibiliser par avance le rapport parlementaire ?
Changements attendus à Cannes
Pourquoi les médias ont-ils si souvent repris à leur compte les propos de ceux qui font la pluie et le beau temps sur le 7è art, comme le délégué général du festival de Cannes. Thierry Frémaux, lorsqu’il est interpellé à propos du faible nombre de film réalisés par des femmes dans les sélections pour la palme d’or répond, sans rire, qu’il choisit les meilleurs ! Et les médias reprennent en chœur ces propos méprisants pour les réalisatrices.
Lors de la présentation du rapport, Sandrine Rousseau a interpellé les organisateurs de ce festival qui avait, notamment, invité Johnny Depp, accusé de violences conjugales, sur ses marches en 2023… . « Le festival doit être le lieu de ce renversement de mentalité, où on dit haut et fort, de manière institutionnelle mais aussi dans les paillettes et les tapis rouge, au micro et à la tribune, qu’enfin on a envie, tous et toutes, tous les acteurs, les échelons de ces métiers, que ça change car ce n’est pas acceptable » at-elle déclaré.
La liste des films sélectionnés en compétition officielle sera dévoilée le jeudi 10 avril dans la matinée…. à suivre.
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