Les femmes restent encore minoritaires dans les secteurs scientifiques. Il faut dire qu’elles rencontrent des obstacles dès la sélection pour se former. Pour y remédier, Normale-Sup s’engage à former les jury qui font passer les concours d’entrée afin de limiter les biais de genre.
« En tant que membre d’un jury, on n’évalue pas de la même façon les hommes et les femmes », admet Charlotte Jacquemot, directrice du département d’études cognitives de l’Ecole normale supérieure (ENS) dans un entretien auprès du supplément M Campus du journal Le Monde . Pour en finir avec les biais de genre et encourager les vocations scientifiques chez les femmes, la prestigieuse institution a mis en place une formation à l’attention de tous les jury aux concours d’entrée des quatre ENS : Ulm, Saclay, Lyon et Rennes.
25 % de candidates, 20 % de femmes admises
En France, la recherche et l’innovation comptent seulement 30% de chercheuses dans la recherche, 24% de femmes dans le numérique et 14 % d’inventrices. Il faut dire que les femmes sont limitées dès l’étape de leur formation. (Lire : Elisabeth Borne lance le plan Filles et Maths pour féminiser les filières scientifiques). L’ENS reconnaît sa responsabilité. « Nous avons regardé les chiffres à l’ENS et ils ne sont pas meilleurs ! », regrette Charlotte Jacquemot, également responsable du programme « Femmes et filles de sciences » de l’ENS, qui, depuis 2023, verse une bourse mensuelle de 1 000 euros à toute étudiante admise (via le Concours Normal Étudiant) dans les départements de physique, mathématiques et informatique.
Mais quelque chose coince toujours. Depuis 2019, à l’ENS-Paris, sur les 25 % de candidates qui se présentent dans la filière sciences au concours CPGE, seulement 20 % de femmes sont reçues. Sans compter la biologie, qui est la matière scientifique dans laquelle les femmes sont les plus nombreuses, on passe à 20 % de candidates pour seulement 13 % de femmes admises. Dans la filière Lettres, même phénomène : 66 % de candidates en 2024 pour 42 % de femmes reçues. « On perd donc des femmes au moment du concours », déplore la directrice du département d’études cognitives.
Cet écart peut s’expliquer, en partie, par les modalités d’entrée à l’ENS. Après l’épreuve écrite, le concours est ensuite composé d’une épreuve orale. C’est là que les biais de genre, encore ancrés chez les membres du jury, s’infiltrent. La preuve : en 2020, alors que les oraux de la filière littéraire avaient été annulés en raison de la crise liée au covid, le nombre d’admissions des femmes avait augmenté. Coïncidence ? (Pour en savoir plus, lire : Sans épreuves orales, davantage de femmes à Normal-Sup en lettres, pas en sciences). « Un même CV ne sera pas évalué de la même façon selon qu’il mentionne un prénom de garçon ou de fille, estime Charlotte Jacquemot. Cette prise de conscience est le point de départ du lancement d’une formation aux biais et stéréotypes de genre pour les jurys des concours d’entrées de toutes les ENS.
Une formation aux biais de genre pour les enseignants-chercheurs
Mis en place cette année, le dispositif de formation consiste en des webinaires, qui se divisent en deux volets, l’un adressé aux jurys de concours de Lettres et l’autre aux jurys de concours Sciences, dispensé par Charlotte Jacquemot, assistée respectivement par Valérie Theis, directrice adjointe lettres de l’ENS et Virginie Bonnaillie-Noël, directrice adjointe sciences de l’ENS. Au cours de ces webinaires, elles reviennent sur les différents stéréotypes de genre qui collent à la peau des candidates mais également les biais de genre ancrés chez les enseignants et membres du jury. Sur les 500 enseignants-chercheurs concernés, 200 ont déjà suivi la formation. « Nous n’avons pas encore de résultats, il faudra regarder les chiffres des recrutements 2025. Il n’est d’ailleurs pas certain que les effets soient visibles dès la première année. Ce genre d’action doit être poursuivi sur la durée », précise-t-elle.
En attendant les résultats de cette initiative pour la sensibilisation aux stéréotypes et aux biais de genre, Charlotte Jacquemot rapporte que d’autres actions peuvent, dès à présent, favoriser la féminisation des promotions de Normale-Sup, notamment par la deuxième voie d’accès à l’école : le concours normalien étudiant. « Ils n’ont pas le statut d’élève fonctionnaire stagiaire, ce qui nous autorise à donner des coups de pouce à certains profils. Ainsi, on rend admissibles toutes les femmes dont le dossier suggère qu’elles auront les moyens de suivre une scolarité à l’école, pour leur donner la chance de venir se défendre à l’oral, révèle la directrice du département d’études cognitives, avant de nuancer : Dans la phase d’admission, tout le monde est ensuite traité de la même manière. ». Résultats : en 2023, autant d’hommes que de femmes, soit 14 au total, ont été recrutés en physique par ce concours.
Si les résultats se font encore attendre et, si les femmes restent largement minoritaires dans les filières scientifiques de l’ENS, la prestigieuse institution affirme son engagement pour davantage de parité et favoriser l’accès des femmes aux secteurs scientifiques.
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